A l’heure où les lobbies pro-nucléaire
(re)passent discrètement à l’offensive et plutôt que de s’embourber dans des
tractations électoralistes au sommet des appareils, les forces politiques de gauche
devraient plutôt répondre positivement à la
proposition que leur a faite, le 26 octobre dernier, Jean-Luc Mélenchon,
candidat du Front de gauche à la présidentielle de 2012, de mener campagne
ensemble pour une référendum sur le sujet. A l’appui de cette démarche, nous
reproduisons ci-dessous une analyse de Yann Cochin, syndicaliste dans le secteur de l’énergie, membre du conseil national de campagne du Front de gauche
et de Convergences et alternative, parue en juillet dernier dans le bulletin public de notre courant.
Yann
Cochin, Convergences et alternative,
n° 8, 10 juillet 2011, p. 8-9.
L’Allemagne,
la Suisse, l’Italie décident de programmer une sortie du nucléaire, 70 % des Français-e-s y sont favorables selon un sondage, le débat public est urgent. Et
avec les salarié-e-s des centrales, premier-e-s exposé-e-s.
Fukushima
ce n’est pas fini, les installations ne sont
toujours pas maîtrisées (les autorités espèrent en retrouver le contrôle fin janvier,
ce qui laisse sceptique les spécialistes) et les informations sur le niveau de
radioactivité de l’environnement sont toujours plus inquiétantes ASN du 16 juin),
il en est de même sur les doses reçues par les salariés. Explosions et haute contamination
de la mer restent hélas totalement du domaine du possible.
Cet
accident majeur pose d’une manière nouvelle la question de l’utilisation du nucléaire
civil à des fins de production d’électricité : dans ce débat il y aura un avant
et un après Fukushima. Et cela parce qu’il sera désormais très difficile de
faire accepter aux populations de pays nucléarisés le message classique : « Ce
n’est pas possible chez nous … ».
Contrairement
à Tchernobyl, il n’est pas possible d’impliquer, comme l’ont fait plus ou moins
nos dirigeant-e-s politiques et de l’industrie nucléaire à l’époque, la
déliquescence de la situation économique et industrielle du pays victime de la
catastrophe : le Japon est l’archétype du pays développé, à industrie «
high-tech ». Et rappelons que l’accident de Three Mile Island avait déjà montré
que même les industries les plus développées ne sont pas à l’abri d’un accident
nucléaire majeur. Et
« chez nous », la gestion actuelle de nos centrales est loin d’être optimale :
les syndicats les plus courageux d’EDF ne cessent de dénoncer les risques provoqués
par une gestion guidée par des objectifs de rentabilité, par une politique de sous-traitance
absurde qui fragilise la culture de la sûreté par manque d’expérience et de qualification
des intervenants, sans parler des conditions inacceptables dans lesquelles ces
salariés travaillent, encaissant la majorité des doses pour des salaires de l’ordre
de 1700 Euros/mois.
Rentabilité contre sécurité
La
dégradation des conditions de sûreté est aussi liée à la casse systématique de
tout collectif de travail, au manque de plus en plus fort de transparence au
nom du secret-défense, à une situation de sous-effectif chronique conduisant à
des dépassements horaires dangereux, à une mauvaise gestion du renouvellement des
compétences, à une « gestion par indicateurs » totalement inadaptée …
Au-delà
de la sous-traitance lors des arrêts de tranches, les décisions en cours de
prolonger la durée de vie des centrales, les conflits entre EDF et l’Andra sur
les coûts associés au traitement de l’aval du cycle (techniques d’enfouissement
des déchets), montrent à quel point la pression financière, l’obsession
productiviste et de rentabilité à court terme, pèsent sur la gestion de la filière.
Passons
sur l’abjecte propagande visant à exploiter cette catastrophe pour faire des affaires
en opposant notre technologie nucléaire « sûre » aux technologies « low-cost ».
Les centrales nucléaires japonaises ne sont pas « lowcost », et l’accident de Fukushima
démontre précisément qu’aucune technologie, même la plus évoluée, n’est à
l’abri d’une défaillance aux conséquences catastrophiques.
Reste
l’argument probabiliste : la « malchance » du cumul de deux événements naturels
exceptionnels, le tremblement de terre et le tsunami, aura conduit au pire. Au
regard de la catastrophe, cet argument est faible, pour plusieurs raisons.
Comme le démontrent tous les accidents majeurs, il paraît impossible d’envisager
et d’estimer correctement la probabilité de toutes les situations pouvant conduire
à la catastrophe. Surtout, même à supposer que ce soit le cas, il reste cette question
incontournable : « Acceptons-nous de vivre sous la menace de telles
catastrophes, dès lors que la probabilité des évènements qui y conduisent est
suffisamment fiable et faible ? »
Sur
ce point, on ne peut qu’être interpellés par la réflexion d’Ulrich Beck, sociologue,
spécialiste de la question des risques, dans le Monde du 26 mars « Quelle signification peut donc encore avoir
une sécurité fondée sur la probabilité […] quand il s’agit d’estimer l’accident
le plus grave rationnellement prévisible, quand sa survenue laissera bien sûr
la théorie intacte, mais aura annihilé toute vie ? »
Nos
dirigeants promettent aujourd’hui de tester la sûreté de toutes nos centrales.
Etrange décision quand on nous assurait il y a encore quelques semaines
qu’elles étaient parfaitement sûres … Cela ressemble à un ridicule pare-feu
dressé pour tenter de rassurer l’opinion face à ce dont le monde risque d’être maintenant
convaincu : « Oui, une telle catastrophe peut se produire chez nous ».
Référendum
La
raréfaction des ressources, l’effet de serre, les risques associés aux différentes
filières posent aujourd’hui de manière pressante la question de la définition
du mix énergétique futur. Les critères prépondérants dans ce choix doivent être
le caractère renouvelable, la minimisation du risque d’accident et d’empreinte
environnementale. Ce ne peuvent être ni des critères financiers, ni des
critères de nombres d’emplois : nous nous refusons à défendre une filière au
seul motif que des salariés y travaillent.
En
revanche, il est bien évident qu’il est indispensable de proposer les meilleures
reconversions au personnel impacté par une sortie éventuelle du nucléaire,
qu’il soit ou non d’EDF. Le choix du mix énergétique doit être le résultat d’un
véritable processus démocratique. Et ce processus doit évidemment inclure la sortie
du nucléaire comme une possibilité réelle, et aboutir à un référendum.
La
société civile doit pouvoir décider en connaissance de cause. Pour cela elle
doit être informée clairement des risques, des coûts associés à chaque
hypothèse, des implications sur le mode vie de tel ou tel choix. Il ne s’agit
pas uniquement de décider comment produire, mais aussi comment consommer (quels
usages de l’électricité ? Quelle politique de sobriété et d’efficacité énergétique
…)
Il
est clair qu’il est impossible de laisser cette information dans les mains des
lobbies quelle que soit leur obédience.
A
cette étape, aucun choix irrémédiable ne doit être engagé avant ce débat
public, et nous affirmons que des choix sont nécessaires.
- Un
moratoire sur la construction de nouvelles centrales nucléaires et de l’EPR
- La
non-prolongation de la durée de fonctionnement des centrales nucléaires
- Un
service public de l’énergie qui ne soit pas soumis à la concurrence et à la loi
de la rentabilité
- Une
recherche dotée de moyens à la hauteur des enjeux sur la sûreté nucléaire et
sur les nouvelles énergies
- La
ré-internalisation de toutes les opérations liées à la maintenance/sûreté
nucléaire, avec recrutement au statut des salariés concernés.
- Une
enquête sur l’évolution de leurs conditions de travail et leurs conséquences en
termes de sécurité et de santé.
- La
garantie du droit à l’expression des salariés du nucléaire, acteurs essentiels
de la sécurité des installations.
- La priorité est à la démocratie, à un investissement massif dans les énergies
renouvelables pour qu’elles dominent le nucléaire et les énergies fossiles.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire