Yorgos
Mitralias, membre fondateur de la Campagne Grecque pour l’Audit de la Dette (www.elegr.gr) et du Comité contre la Dette - CADTM grec (www.contra-xreos.gr), 8 novembre 2011
« Pourquoi tout à coup cette
inquiétude cette confusion (comme les visages sont devenus graves). Pourquoi
les rues, les places, se vident-elles si vite et chacun rentre chez lui très soucieux?
C’est que les barbares arrivent aujourd’hui et que ces choses-là éblouissent
les barbares. » K. Kavafis, En attendant
les barbares (extrait)
Pourquoi toute cette agitation grecque et internationale ? Pourquoi les menaces et les chantages, pourquoi les intrigues florentines, pourquoi tout ce psychodrame politique athénien sur fond de tragicomédie cannoise? Et pourquoi finalement « l’union nationale » grecque tant désirée par les maitres cuisiniers de Berlin, de Paris, de Washington et d’ailleurs? Pourquoi ?... Et bien, c’est simple : parce qu’il fallait coûte que coûte empêcher la venue des « barbares », l’irruption des masses grecques révoltées sur la scène politique. Parce qu’il faillait retarder le plus possible la tenue de ces élections générales tant souhaitées par la plèbe en colère et encore plus redoutées par l’Alliance Sacrée des chanceliers et des banquiers !
L’humiliation
de Papandreou (et de la Grèce) devait être exemplaire pour que « ceux d’en bas
» en Europe et par le monde ne prennent pas au sérieux ce qui n’a été qu’une
menace de referendum brumeux de sa part. Un Papandreou au garde-à-vous devant
ses patrons, accepte donc imperturbable que le tandem Merkel-Sarkozy annonce
non seulement la date mais aussi le contenu de la question du referendum…« grec
» : non pas oui ou non a l’accord du 26-27 octobre mais oui ou non a l’euro !
Le
chantage est clair et ne laisse plus le moindre doute sur l’avenir du fameux
referendum bidon. Il n’y en aura pas. Mais, les dégâts provoqués en Europe et
surtout en Grèce par ce premier ministre grec « aventuriste et irresponsable »,
sont déjà si énormes que ces élections si redoutées semblent désormais
inévitables. Alors, comment faire pour désamorcer la crise en éloignant
Papandreou du gouvernement tout en empêchant la tenue des élections générales ?
Comme
par miracle, tous les centres de pouvoirs et les grands medias grecs sont
tombés d’accord – en un temps record – que le salut viendrait d’un gouvernement
d’union nationale des deux grands partis néolibéraux, du PASOK et de la
Nouvelle Démocratie (2). Oubliées les querelles politiciennes de la veille, les
« élites » grecques se sont brusquement réveillées avec seul mot d’ordre celui
dicté par leurs maitres européens : Union nationale avant que les barbares
profitent de façon irréparable de notre désunion, de nos paniques, de nos
contradictions et même de nos gaffes…
Ce
qui a suivi était prévisible. Malgré sa résistance acharnée, Papandreou a du
plier sous des pressions qui venaient même de l’intérieur de son gouvernement.
De l’autre coté, le refus du leader de Nouvelle Démocratie Antonis Samaras d’avaler
la couleuvre de l’accord du 26-27 octobre en participant a un gouvernement
d’union nationale, n’a tenu que trois jours. Au soir du troisième jour, les
jeux étaient faits : l’opposition de sa majesté pratiquée par la droite grecque
depuis le premier Mémorandum dicté par la troïka, donnait sa place à la cohabitation
avec le PASOK au sein du même gouvernement imposé par la Troïka et le grand
capital grec !
Le
gouvernement d’union de deux grands partis néolibéraux ne laisse aucun doute
quant à ses objectifs : d’un coté il servira avec dévouement les intérêts de
ses maitres grecs et internationaux en faisant voter, entre autres, le budget
de l’Etat et l’accord du 26-27 octobre, et de l’autre il repoussera le plus
tard possible le recours aux urnes. D’ailleurs, le passé récent de son premier
ministre est tout a fait éloquent : grand banquier, Loucas Papadimos a été
pendant très longtemps vice-président de la Banque Centrale Européenne (BCE) !
De cette BCE qui fait partie de la Troïka de tous les malheurs grecs…
Alors,
la crise est terminée ? Non, pas du tout si on croit aussi bien « ceux d’en
haut » que « ceux d’en bas ». Mais maintenant, il y a une différence de taille
par rapport au passé : la situation n’est plus la même car la formation de ce
gouvernement a le grand mérite de clarifier un paysage politique grec longtemps
confus et embrouillé par des manœuvres politiciennes. Désormais, le tableau
politique grec est net et clair : d’ un coté, les grands – et les petits –
partis bourgeois soutenant à fond les Mémorandums et leur austérité
cataclysmique et barbare, et de l’autre coté les partis de gauche qui les
rejettent et les combattent. D’un coté la bourgeoisie grecque et de l’autre, le
peuple qui saigne mais qui lutte !
Evidemment,
tout serait beaucoup plus clair et plus facile pour « ceux d’en bas » si la
gauche grecque se présentait a cette ligne droite de l’affrontement a mort
moins désunie et sectaire, plus décidée de faire front face a une droite
grecque et internationale déterminée d’aller jusqu’au bout de ses projets
cauchemardesques. Pourtant, il ne faut pas désespérer. La colère et la
détermination populaires sont telles qu’il faudra a la réaction grecque beaucoup
plus que la formation d’un gouvernement d’union nationale pour venir a bout du
séisme social qui secoue depuis des mois les fondements de l’Etat bourgeois
grec. En effet, tout indique que la stabilisation de la situation qui suivra la
formation de cet avorton gouvernemental sera de courte durée, et elle sera sans
doute suivie par l’approfondissement non seulement de la crise mais aussi de la
mobilisation populaire.
Cependant,
il y a désormais un problème qui crève les yeux et demande d’urgence une
réponse a la fois réaliste et crédible : quel projet européen alternatif et
radical non pas pour le mouvement grec mais pour toutes les résistances populaires
en Europe face a la crise (terminale ?) de l’Union Européenne et la véritable
guerre que ses dirigeants mènent contre leurs propres populations ? Le cas grec
vient de démontrer que la sortie de l’euro (et de l’Europe) ne représente une
alternative ni réaliste ni crédible pour ces populations en lutte. Mais plus
que ca, elle ne représente pas une solution de classe a la guerre de classe
menée par le capitalistes européens contre ses salariés/es et ses retraités/es,
ses jeunes et ses chômeurs, les femmes et tous les opprimés/es de ce continent.
Alors,
quoi ? Sommes-nous condamnés éternellement à la défensive sans qu’il n’y ait
jamais espoir de passer à la contre-attaque et vaincre ? L’élaboration de la
réponse doit être notre affaire à tous. Mais, en dernière analyse une chose est
sûre : tout dépendra de la capacité de toutes ces résistances populaires (en
Grèce et en Espagne, en Italie et au Portugal, en Irlande et en France, en
Pologne et en Allemagne et partout ailleurs) de se coordonner et de se battre
pour le projet commun d’une Europe démocratique des peuples qui aura des
priorités diamétralement opposés a celles de l’Europe actuelle des banquiers,
des spéculateurs et des capitalistes.
Allons donc, camarades. Mettons-nous tous
ensembles au travail…
(1)
Sujet tabou pour les medias grecs qui n’en soufflent pas mot, la préparation de
ce prétendu coup d’Etat militaire grec a du impliquer au moins les quelques
membres du gouvernement Papandreou responsables du changement de la totalité de
l’état major de l’armée grecque, quelques jours avant le dénouement comique de
cette affaire a Cannes. De tout ca reste pourtant une question manifestement
sans réponse : depuis quand les instigateurs de telles actes impliquant les
forces armées d’un pays ne font pas l’objet de très lourdes sanctions pénales
?...
(2) La préparation au forcing des esprits en vue du gouvernement d’union
nationale a donné lieu a un bourrage de crâne sans précédent de la part de
toutes les chaines de TV grecques. Pendant les trois jours précédant la
formation du nouveau gouvernement, la même vingtaine des professeurs,
journalistes, politiciens, banquiers et autres « experts » de tout ordre allaient
d’un studio a l’autre tant pour briser les dernières résistances provenant des
irréductibles de deux grands partis que pour assener leur vérité néolibérale
sur les malheureux téléspectateurs grecs.
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