Convergences et
alternative,
27 septembre 2012
C’est un droit qui attend d’être mis en œuvre depuis plus
de deux siècles. Sous la Première République, la Constitution du 24 avril 1793
déclarait en effet que : « Tout
homme né et domicilié en France, âgé de vingt et un ans accomplis, tout
étranger de vingt et un ans, qui, domicilié en France depuis une année, y vit
de son travail, ou acquiert une propriété, ou épouse une Française, ou adopte
un enfant, ou nourrit un vieillard, tout étranger enfin qui sera jugé par le
Corps législatif avoir bien mérité de l'Humanité est admis à l'exercice des
Droits de citoyen français. ». Elle ne fut jamais appliquée. Le
suffrage universel masculin des plus de 21 ans est adopté en 1848, étendu aux
femmes en 1944, aux « indigènes » des colonies en 1946, puis aux plus
de 18 ans en 1974, mais continue depuis à exclure les résident-e-s étranger-e-s.
Quand la gauche arrive au pouvoir en 1981, l’élargissement
du droit de vote aux résident-e-s étranger-e-s pour les élections locales est
pourtant une revendication reprise par François Mitterrand dans ses « 110
Propositions » (80e proposition). Mais il ne la fait finalement pas
adopter. En 2012, elle refait partie des « 60 Engagements » de François
Hollande (n° 50). Aujourd’hui, le candidat est devenu président, il est plus
que temps que cet engagement soit tenu. La gauche est majoritaire dans les deux
assemblées. Même si elle n’a pas la majorité des trois cinquièmes pour changer
seule la Constitution dans laquelle est inscrit la définition du droit de vote,
elle peut chercher et trouver la trentaine de député-e-s qui lui manqueraient,
et sinon aller jusqu’au référendum. Si elle ne le fait pas maintenant, si elle
n’engage pas le processus en ce début de mandature, et avant les municipales de
2014, le projet sera remis sous le boisseau et ne verra jamais le jour.
Il y a quelques semaines, soixante quinze député-e-s
socialistes ont ainsi pris l’initiative de rappeler, dans une tribune parue
dans Le Monde et intitulée « Le
droit de vote des étrangers aux élections, c'est maintenant », « la pertinence de cet élargissement du droit
de vote pour que la contribution des étrangers,
soit reconnue... pour que leur statut passe enfin de celui d’invisibles
à celui d’acteurs de la vie locale. ». Elles et ils défendent, contre
la droite, « une conception de la citoyenneté ouverte, sans qu’un lien
entre citoyenneté et nationalité ne soit indispensable ». Aussitôt,
plusieurs voix au gouvernement se sont efforcées d’expliquer qu’il était
urgent... d’attendre. Et la droite et l’extrême-droite se sont engouffrées dans
la brèche pour lancer une campagne contre ce droit de vote, en espérant avoir
trouvé là le moyen de fédérer les réflexes xénophobes et attiser la peur des
autres, comme l’avait fait Sarkozy entre les deux tours. Ce n’est ni un débat
ni une réforme secondaires. L’enjeu est d’importance dans une société comme la nôtre où, pendant les cinq dernières années, a été
instillé un virulent racisme d’Etat, et qui est profondément travaillée par le racisme ordinaire. Nous sommes favorables, pour notre part et avec
d’autres, à une égalité des droits civiques pour les résident-e-s étranger-e-s
à toutes les élections, et pas aux seules élections municipales. Mais une
première conquête serait un pas en avant considérable.
Dans notre programme, celui du Front de gauche, « L’Humain d’abord », nous avons
affirmé clairement que : « Nous mettrons immédiatement en place une
citoyenneté de résidence. Les résidents extracommunautaires bénéficieront du
droit de vote aux élections locales ». C’est une dimension essentielle de la
révolution citoyenne que nous appelons de nos vœux. Nous devons donc être tou-te-s, au
Front de gauche – et nous serons sans aucun doute ni hésitation –
activement engagé-e-s dans la construction d’un front uni de toute la gauche
pour engager cette réforme démocratique, comme nous avons été ces dernières
années dans toutes les mobilisations de soutien aux droits des migrant-e-s, et
notamment les nombreuses Votations
citoyennes organisées un peu partout dans le pays. Dans les quartiers populaires où de nombreux résident-e-s étranger-e-s vivent,
travaillent et payent des impôts, nous savons quels sont les ravages produits par l’exclusion d’un droit
démocratique élémentaire auquel s’ajoutent discriminations raciales, chômage et
précarité. Ce droit démocratique est ainsi étroitement lié aux droits sociaux.
Le jour où ces résident-e-s, ces travailleur-euse-s, auront le droit de vote, ne
serait-ce qu’aux seules élections municipales, les forces politiques ne
pourront plus ignorer qu’à leurs dépends cette partie de la population
aujourd’hui privée des moyens démocratiques de peser sur le choix des
politiques à mener qui les concernent pourtant souvent au premier plan. En
accélérant la réforme en 2013, un changement sera palpable dès les municipales
de 2014: elle concernera 1,8 millions d’électeur-trice-s potentiel-le-s
supplémentaires, 6% du corps électoral. De quoi faire réfléchir toutes les listes
sur leurs programmes, en termes notamment de droits et de prise en compte de la situation
des plus précaires et des plus marginalisé-e-s dans les communes. Et de quoi aider
à faire reculer les idées du Front national et de la droite, en menant
justement une contre-offensive sur leur terrain de prédilection, sans faux-fuyants :
nous, nous opposons l’égalité des droits à la racialisation et la
hiérarchisation inégalitaire des rapports sociaux que défendent la droite
réactionnaire et l’extrême-droite.
Le Front de gauche est
totalement impliqué sur le terrain d’un changement de la logique
libérale dans les politiques sociales et économiques, contre le traité européen
d’austérité, pour de nouveaux acquis et droits des salarié-e-s. Mais il l’est
tout autant sur le terrain du combat pour rompre avec les logiques réactionnaires
et sécuritaires du Sarkozysme qui a fait reculer les droits démocratiques pour
les citoyen-ne-s français-e-s comme pour citoyen-ne-s étranger-e-s. Que ce soit sur les questions d’orientation
économique et sociale comme sur le terrain de l’égalité et des droits, sans
que l’un de ces combats ne soit considéré comme une diversion par rapport
à l’autre, nous défendons une alternative opposée à cette politique gouvernementale qui ne se donne pas les moyens de faire reculer les
marchés financiers, et, dans le même temps, craint d’affronter la réaction sur
le terrain des droits. D’un côté on
entend que, face aux vagues de licenciements, « on ne peut les empêcher ». De l’autre,
face à la vague réactionnaire et xénophobe, on entend que la société ne serait
pas « mûre », et qu’on ne pourrait rien faire non plus, sauf à plier
l’échine et reporter à plus tard les changements démocratiques. Notre projet
politique alternatif défend l’articulation du combat social et démocratique,
l’avancée des droits pour tou-te-s : des salarié-e-s dans l’entreprise
comme des résident-e-s étranger-e-s ou les couples et familles homosexuel-le-s
dans la cité.
Marche pour la 6e République - 18 mars 2012 (Paris) |
Il est certain que la conquête de ce droit nouveau
nécessitera un important débat dans toute la société. Il faudra mobiliser
toutes les forces à gauche, associatives, syndicales et politiques, pour
engager un travail d’éducation populaire et de conviction, en allant au devant
des préjugés pour les faire reculer. Une vraie bataille « front contre front » :
le front pour l’égalité sociale et les droits civiques pour tou-te-s contre le
front des réactionnaires xénophobes attisant le repli sur les peurs. Et si on
ne gagne pas cette fois ? On aura au moins engagé la bataille et on gagnera la
fois d’après. Qu’on se rappelle qu’au Portugal par exemple, pour que l’avortement
soit légalisé, il a fallu deux référendums et des années de vote et de re-vote
pour faire reculer les préjugés réactionnaires très puissants dans cette
société très catholique. Mais ce qui est tout aussi sur, c’est que si on laisse passer cette
législature sans engager véritablement ce combat, on laisse alors la droite et
l’extrême-droite triompher, les divisions s’approfondir, et on abandonne pour
longtemps la possibilité d’élargir la citoyenneté.
La bataille du droit de vote est un exemple de ce que
peut faire le Front de gauche : se battre pour gagner une « majorité d’idées »
à gauche, dans la société, au parlement, et gagner des acquis démocratiques et
sociaux. C’est aussi l’illustration de deux orientations possibles à gauche :
incarner une gauche véritable et d’espérance contre une droite de plus en plus
réactionnaire, ou accepter qu’une politique de reculs et de renoncements
disperse les espoirs et la possibilité d’obtenir des changements. Les millions
d’électeur-trice-s qui ont chassé Sarkozy l’ont fait en connaissance de l’engagement
de toute la gauche pour le droit de vote. C’est cette majorité qui doit s’imposer,
et non une politique gouvernementale incarnée par le
duo mortifère Michel Sapin/Manuel Valls : austérité à perpétuité d’un
côté; chasse aux pauvres, aux Rroms, contrôles au faciès, exclusion civique et
démocratique, etc., de l’autre. Ainsi par exemple, quand Manuel Valls et
François Hollande (parce que le premier n’aurait pas la place qu’il occupe
aujourd’hui si elle ne lui été pas accordée) font mine de reculer sur
l’engagement n° 30 de lutter contre les contrôles au faciès, ce sont les
élu-e-s du Front de gauche au Conseil de Paris qui prennent l’initiative de
faire voter et adopter la proposition du collectif « Stop le contrôle au faciès »
d’expérimenter dans
la capitale un récépissé de contrôle d’identité. A cette occasion, un vœu
relatif au droit de
vote et d’éligibilité des citoyen-ne-s extracommunautaires a également été
présenté, mais avec moins de succès…pour cette fois. Au niveau national,
concernant les droits des migrant-e-s, le Front de gauche thématique
qui s’est constitué pendant la campagne électorale, était au rendez-vous dès la
manifestation
unitaire du 1er septembre dernier, et sera pleinement engagé dans
le débat public comme dans les mobilisations nécessaires des prochaines semaines
et des mois, notamment le 18 décembre, mobilisation nationale à l’occasion de
la journée mondiale des migrant-e-s. Mais c’est tout le Front de gauche qui doit continuer à
mener activement ce combat pour gagner le droit de vote pour tou-te-s.
Alors, non, décidément, là encore, on ne lâche rien, sur
rien !
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