Editorial
Convergences et alternative, bulletin n° 5, spécial « Mouvement contre la réforme des retraites », 27 octobre 2010, p. 1.
Depuis septembre, la résistance à la contre-réforme des retraites a passé un cap significatif. Soutenus par 70% d’opinions favorables, nous sommes nombreux à considérer que Sarkozy doit retirer sa contre-réforme. Il faut débattre d’une alternative au sarkozysme, mais d’abord il faut gagner !
De nombreux grévistes, manifestants, « bloqueurs » ont besoin de la solidarité de tous, y compris ceux qui n’ont pas les moyens ou la possibilité de s’engager dans un affrontement durable. Cette solidarité peut s’exprimer de multiples façons : d’abord, par un soutien financier nécessaire dans la mesure où les grévistes ne touchent qu’une partie de leur salaire. Mais aussi par une solidarité politique et citoyenne de tous les jours : messages de sympathie, utilisation des autocollants de toutes les organisations (billets de 500 euros du NPA, contre la fausse-monnaie Woerth, le « casse-toi pauv’con » du Parti de gauche, le « gouverneMENT » des Alternatifs, etc.), des discussions avec nos familles, nos voisins, nos amis, pour dénoncer les mensonges ignobles du gouvernement.
Des intersyndicales ont mis en place des comptes de solidarité. Des collectes spontanées amènent de l’argent. Le Front de gauche a commencé une action dans ce sens. Amplifier ces actions pourrait être le rôle des collectifs unitaires (appel d’Attac-Copernic), mais aussi des partis politiques.
Mais le rôle des partis de toute la gauche, tous opposés à la contre-réforme, est de s’entendre très vite pour porter un message commun : retrait ! Cela signifie battre Sarkozy et sa politique maintenant.
Coup de jeune
Convergences et alternative, bulletin n° 5, spécial « Mouvement contre la réforme des retraites », 27 octobre 2010, p. 1-2.
La lame de fond qui s’est propagée dans le pays pour s’opposer à la contre-réforme des retraites est d’ores et déjà l’un des plus grands mouvements interprofessionnels que le pays a connus.
Grèves dures sectorielles (cheminots, raffineries), débrayages en cascades dans les entreprises privées, manifestations de masse répétées, blocages des points névralgiques, irruption de la jeunesse, inventivité populaire dans les slogans, dans la poésie de la rue : de jour en jour, de semaine en semaine, de mois en mois, le mouvement se renforce de secteurs nouveaux et d’actions inédites. Joie d’être ensemble contre l’hyper-pouvoir grimaçant, contre les possédants, les nantis, les friqués : cela fait du bien ! Et cela donne un grand coup de jeune aux luttes, et à un mouvement ouvrier qui vieillissait.
Nous sommes encore loin de mesurer la portée décapante de cet automne 2010. Sans faire de pronostic sur l’avenir de la loi Sarkozy-Woerth, cela va bouleverser toutes les données, les routines syndicales et celles des partis politiques. Car ce mouvement n’est pas que social, il est intrinsèquement politique. Ce qui n’était pas le cas en 1995, où la gauche était invisible depuis sa défaite de 1993. Ni en 2003, où le choc du 21 avril 2002 n’était pas surmonté. 2003, justement, initie un réveil à gauche lors des régionales de 2004, puis de la gauche de gauche en 2005, mais sans suite. Là, au contraire, ce mouvement s’est nourri politiquement de la raclée de la droite aux régionales (première journée de mobilisation le 23 mars) et de toutes les humiliations subies, depuis que Sarkozy avait juré de faire oublier les grèves et de torpiller les valeurs issues des luttes populaires depuis des décennies.
Certes, les grèves sont moins massives qu’en 1995, qu’en 2003, et a fortiori qu’en Mai 68. Mais le mouvement est plus interprofessionnel que celui de 1995. Comme cela était déjà partiellement visible en 2009, il redevient possible d’unir les secteurs privés et publics, les jeunes et les retraités, les employés de commerce ou de services et les ouvriers et ouvrières d’industrie, les hommes et les femmes, les sans-papiers et les autres, tous les autres. Cette fois, le mouvement des salariés a déclenché la révolte lycéenne, dont les porte-parole improvisés se mettent à parler le langage syndical des aînés (« travail pénible », « annuités », « acquis sociaux », etc.).
Pourquoi la grève est-elle plus difficile à ancrer, malgré un débat public en faveur de la grève reconductible ? La réponse n’est pas simple. D’abord la grève coûte cher, particulièrement lorsque les salaires stagnent. Ensuite, les bouleversements du travail sous contrainte néolibérale ont rendu méconnaissables des pans entiers du salariat, dont les cultures professionnelles ont été détruites. Mais les formes de luttes se démultiplient, du simple débrayage répété aux actions coups de poing, à l’occupation de rue, en visibilité politique.
Le mouvement s’est nourri aussi du spectacle des fauteurs de la crise mondiale en 2008-2009, qui n’ont pas honte aujourd’hui de spéculer sur les dettes des Etats. Les effets des grandes manifestations de 2009 sont donc présents dans celles de 2010. C’est une révolte contre l’injustice capitaliste, contre l’ultralibéralisme et pour l’égalité. Mais c’est encore trop peu pour lancer une bataille afin d’augmenter les salaires, d’assumer la continuation du salaire dans la retraite, d’obtenir un salaire pour tous les jeunes et de s’émanciper du travail contraint par la réduction du temps de travail.
Pourtant, bien plus qu’en 2003, le mouvement actuel porte des exigences unificatrices et transversales. Le scandale de la retraite des femmes a éclaté. Des féministes et des syndicalistes ont signé un appel collectif. L’égalité hommes-femmes est redevenue un débat public. De même, la dénonciation de l’usure du travail a été mise en avant, mettant en accusation les conditions de travail imposées par le management néolibéral. Ces exigences s’opposent aux critères individuels de reconnaissance d’invalidité préconisés par le Medef et repris dans la loi Woerth. L’avenir salarial des jeunes, sans précarité, est posé, permettant une jonction entre générations.
Le mouvement est plein d’énergie. Il pourrait aussi bousculer bien des données dans le syndicalisme, lequel a montré la vitalité de ses équipes de terrain, mais qui ont aussi besoin de porter un projet politique. Pour que la gauche redevienne de gauche, non soumise au calendrier électoral, ni à la présidentialisation de la vie politique, ni aux marchés financiers.
Gagner pour battre la droite et Sarkozy
Convergences et alternative, bulletin n° 5, spécial « Mouvement contre la réforme des retraites », 27 octobre 2010, p. 3-4.
Voulant passer en force, Sarkozy s’affronte à un mouvement de contestation massif, inédit depuis son accession au pouvoir. Mais son projet est illégitime et tout doit être fait pour lui barrer la route : amplifier la mobilisation, mais aussi multiplier les initiatives politiques.
Le gouvernement va chercher désormais à diviser et délégitimer le mouvement, arguant du vote du Sénat et de l’Assemblée nationale. Comptant sur une diminution de la mobilisation, une division du front syndical, il espère pouvoir exploiter l’exaspération face aux blocages, aux pannes d’essence, aux violences en marges du mouvement, en remobilisant son électorat autour de l’ordre qu’il rétablirait. A l’UMP, on se met à rêver d’organiser une contre-manifestation géante de la droite, à l’image des gaullistes, le 30 mai 1968 sur les Champs-Elysées.
En fait, ils ont peur. Peur d’être dépassés par un mouvement imprévu qui a remis au placard l’inévitabilité des solutions du libéralisme effréné. Peur que le passage en force leur ôte les moyens de tenir face au peuple mobilisé qui ne croit plus à leurs balivernes libérales et à leurs mensonges. Peur d’être balayés, bien plus encore qu’aux régionales de mars dernier, si des élections démocratiques tranchaient maintenant la question des retraites et de la politique d’ensemble que cette réforme sous-tend. Il a déjà fallu céder sur le « bouclier fiscal », la réforme phare du quinquennat de Sarkozy. Les sondages se succèdent confirmant que les trois-quarts de l’opinion sont hostiles au projet et soutiennent le mouvement. Et parmi eux, un tiers de l’électorat de droite. Mais pour eux, il n’est pas possible de lâcher plus sans risquer que tout cède. Un tel « blocage » est une négation de la démocratie. Il n’y a pas d’issue tant que Sarkozy ne suspend pas son projet.
Certains à gauche commencent à laisser entendre une petite musique inquiétante : laissons le mouvement s’étioler, promettons de revenir aux 60 ans sans plus de précisions, Sarkozy perdra quand même en 2012 à la suite de ce mouvement, il suffit d’attendre. Ce serait ne rien comprendre à la profondeur de la mobilisation. Non seulement le mouvement traduit le fait que la société n’en peut plus, mais que les calendriers électoraux dans lesquels on l’enferme ne sont pas les siens. Ce serait laisser à la droite la possibilité de se refaire une santé sur la défaite du mouvement social, et lui donner toute latitude pour nuire encore plus d’ici 2012. Gagnante sur les retraites, elle enchaînerait les attaques sur la sécurité sociale, inventerait de nouvelles restrictions au droit de grève, réengagerait sa politique d’« identité nationale » nauséabonde… La gauche, dans toutes ses composantes, n’a rien à gagner à accepter une défaite qui entraîne toujours découragement et dispersion. Elle a intérêt au contraire à ce que la mobilisation des salariés et de la jeunesse s’amplifie, en l’accompagnant de toutes les initiatives possibles renforçant l’idée d’une issue politique démocratique.
La démocratie est de notre côté, la poursuite du mouvement est légitime. Il suffit de rappeler ce que disait Sarkozy lui-même en mai 2008 (« Revenir sur la retraite à 60 ans ? Je dis que je ne le ferai pas, je n’ai pas de mandat pour cela »), pour saisir le piège qu’il s’est tendu lui- même. En affirmant aujourd’hui que s’il reculait sur la retraite à 62 ans, les agences de notations baisseraient immédiatement la « note » « AAA » de la France, il souligne lui-même d’où vient la légitimité qu’il incarne : celle des marchés financiers, pas celle du peuple.
Depuis plusieurs semaines, l’idée d’un référendum parcourt les rangs des forces de gauche, et les avis sont partagés. Les uns considèrent que le moment n’est pas venu d’en faire un objectif central alors qu’il s’agit encore d’étendre la mobilisation, que le vrai référendum se fait dans la rue, et qu’il faut atteindre un niveau de mobilisation aussi important pour imposer le retrait que pour imposer à Sarkozy un référendum. Les autres veulent par ce biais renforcer l’illégitimité du pouvoir et le mettre au défi d’un choix démocratique. Les deux idées peuvent se compléter plutôt que de s’opposer, tant que l’idée de référendum n’est pas présentée comme une alternative à une poursuite du mouvement pour le retrait.
Mais dans la phase qui s’ouvre, après le vote au Sénat, elle pourrait être reprise sous une autre forme : celle d’une consultation populaire organisée dans les semaines qui viennent avant la promulgation de la loi. Que des municipalités de gauche ouvrent les registres électoraux et les bureaux de vote pour que s’exprime l’autre légitimité, populaire celle-ci, face au vote de l’Assemblée et du Sénat. De telles initiatives pourraient renforcer le mouvement, sa détermination, mobiliser tous les citoyens qui cherchent à affirmer leur opposition au gouvernement.
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« Qu’il cède, ou cède la place »
Plus le gouvernement s’obstine, plus est posée la question de son départ. Au-delà des slogans « Démission », « Dehors », « Qu’ils s’en aillent tous », ce mouvement bouscule les rythmes d’une Vème République qui réduit la démocratie au choix d’un président tous les cinq ans. La gauche, dans toutes ses composantes, ne peut cantonner les espoirs de changement politique à attendre 2012. S’il y a blocage du pays, la contradiction entre la volonté populaire d’un côté, le gouvernement et l’Assemblée de l’autre, pousse vers une exigence démocratique : des élections législatives anticipées. Ne pas l’envisager parce que les alternatives de gauche ne seraient pas prêtes, ce serait laisser Sarkozy régner, et nuire deux ans de plus. Sous la pression du mouvement, les choix à gauche se clarifient : gouverner pour le peuple ou pour les marchés financiers, deux orientations, deux gouvernements possibles ; pour la direction du PS, on ne pourra pas faire mieux que les gouvernements sociaux-libéraux en Grèce, Portugal, Espagne. Pour l’autre gauche, il faut un gouvernement fidèle au mouvement social et aux aspirations qu’il porte. Des millions de citoyens ont appris que pour défendre « la retraite à 60 ans à taux plein », la sécu, les salaires, les services publics, il faut une gauche qui ose affronter les marchés financiers: taxation des profits, fiscalité, répartition des richesses, du temps de travail… Une gauche qui convoquerait une Assemblée constituante, refondant de nouvelles institutions pour une république sociale et démocratique. Cette gauche-là doit converger (NPA, Front de gauche, FASE, écologistes et socialistes de gauche…) avec les éléments du mouvement social qui cherchent un débouché politique à la hauteur.
Forger l’alternative au social-libéralisme
Convergences et alternative, bulletin n° 5, spécial « Mouvement contre la réforme des retraites », 27 octobre 2010, p. 5.
Pas question d’attendre les échéances de 2012 : c’est ici et maintenant que doivent converger les forces politiques de transformation sociale.
Près de 71% des sondés ne veulent pas de la contre-réforme Sarkozy et approuvent la mobilisation ainsi que son approfondissement dans la durée. En même temps, une majorité des mêmes sondés ne croit pas que le PS rétablirait les 60 ans. Cela résume l’urgence d’une alternative. En pleine mobilisation sociale, la majorité des dirigeants socialistes répètent, à contre-courant du mouvement, qu’il faudra allonger la durée de cotisations. La prise de conscience grandit qu’existent deux projets à gauche, celui d’une majorité des dirigeants du PS, ou celui que devrait porter une gauche de transformation sociale, appuyée par une majorité du mouvement social – le plus important depuis des décennies.
Le mouvement actuel devrait faire réfléchir. Il faut sortir des postures isolationnistes, ou des calculs de précandidatures présidentielles, se dépasser et se mettre à la hauteur de la situation. Que l’on prenne les propositions du NPA (« Nos réponses à la crise »), du Parti de gauche (qu’on retrouve dans le dernier livre de Jean-Luc Mélenchon), les élaborations du PCF, de la Gauche unitaire, de la Fédération et des Alternatifs, on trouvera, sur le fond, plus de convergences que de divergences : répartition des richesses, assemblée constituante, refus du traité de Lisbonne, planification écologique, opposition aux guerres et à l’Otan, défense des libertés et opposition aux politiques xénophobes, défense d’une logique de services publics et de contrôle des banques, remise en cause des logiques de profit, de chômage, et du droit pour les patrons de licencier à leur guise…
Il y a matière à forger un programme alternatif aux politiques sociales-libérales, y compris étendre la discussion avec les secteurs du PS et d’Europe Ecologie qui, avec la pression du mouvement social, se démarquent de la majorité de leurs formations.
Le NPA ne peut prétendre représenter seul l’alternative politique dont le mouvement social actuel a besoin, cela se vérifie encore dans ce mouvement, même s’il y est très actif. Il devrait mettre en débat ses principales propositions dans un front social et politique qui décuplerait la force d’une gauche de transformation. Pourquoi continuer à refuser d’engager le débat de fond sur un « programme partagé » avec le Front de gauche ? Pourquoi être réticent à chercher des convergences ? Il y a, dans ce mouvement, une exigence politique si puissante qu’elle pousse les débats vers la gauche plutôt que vers une « aspiration » dans une alliance avec le social-libéralisme...
De son côté, le Front de gauche ne donne pas une grande impulsion à la discussion qu’il a lancée à la fête de l’Huma, ni n’indique une véritable volonté d’ouverture et de transformation d’un Front qui irait au-delà de ses trois composantes initiales. S’il y a bien un moment où les débat sur un programme alternatif de gauche doit s’ouvrir à toutes les forces politiques sans exclusives, s’il y a bien un moment où des milliers d’acteurs du mouvement social « font de la politique » et sont disponibles, c’est bien dans le bouillonnement fantastique qui jaillit de ce mouvement. Tous ces acteurs attendent plus, mieux, et autrement : de l’unité, de la conviction, pour que ce mouvement aide à rassembler une force de transformation sociale qui traduise une politique pour une majorité et un projet de gouvernement sortant des ornières du libéralisme.
Maintenant, des initiatives sont à prendre, au cœur du mouvement social, des réunions publiques communes, des débats, des ouvertures véritables… Pour paraphraser un autocollant d’actualité : « Dans quelle langue il faut vous’l’dire ?!! »