lundi 18 février 2013

Chroniques romaines

Episode 1 – Sur un air de chanson populaire


Danièle Obono, 18 février 2012
  
Elles et ils ont entre 25 et 30 ans. Enfants de ce qu’on a appelé la « classe moyenne », enchainant les petits boulots précaires, de gauche sans être militant-e-s.
La scène se passe un samedi soir, à Rome, quartier du Pigneto. C’est la finale du célèbre et très populaire festival de musique de San Remo retransmis en direct à la télévision. En attendant les résultats des votes du concours, c’est l’intermède politico-humoristique. Il est question des prochaines élections générales qui ont lieu dans moins d’une semaine, les 24 et 25 février. L’acteur-chroniqueur Claudio Bisio fustige ceux « qui disent une chose et en font une autre…ne tiennent pas leurs promesses…sont incompétents…menteurs….peu fiables ». « Renvoyons les tous chez eux ! » lance-t-il sous les applaudissements du public à San Remo et au Pigneto. Puis, prenant tout le monde à contre-pied, il précise : « Ah mais attention, je ne parle pas des élu-e-s mais des électeur-trice-s, je parle de nous, les Italien-ne-s, parce que c’est nous qui leur avons donné un mandat, c’est nous qui les avons élu ». En gros : les politicien-ne-s sont à l’image des gens, donc on a les politicien-ne-s qu’on mérite. Et de poursuivre sur les failles et l’hypocrisie de toute la culture politique du pays. Le propos, délivré sur des airs de trompette en mode mineur, est sévère voire moraliste. Et si le monologue se termine néanmoins par un appel à aller voter, pas sûr que cela ait convaincu la petite bande du Pigneto.
Nichi Vendola sur une affiche de campagne de SEL
Il y a encore cinq ans, elles et ils votaient tou-te-s pour la gauche radicale. Aujourd’hui, un certain nombre déclare pour le moment ne pas vouloir aller voter. Parmi celles et ceux qui pensent quand même y aller, une partie voterait pour la coalition de centre gauche « Italia. Bene Comune » (« Italie. Bien commun »). Conduite par Pier Luigi Bersani, elle regroupe le Partito Democratico (le « Parti démocrate » ou PD, alliance d’ex-sociaux-démocrates et de centristes/démocrates-chrétiens à l’orientation social-libérale), « Sinistra Ecologia Libertà » (« Gauche, écologie et liberté » ou SEL, une scission de Rifondazione Comunista), le petit Partito Socialista Italiano (« Parti socialiste italien » ou PSI) et Alleanza per l’Italia (l’« Alliance pour l’Italie », une formation centriste). A gauche, le vote pour « Italia. Bene Comune » s’explique à la fois par la volonté d’éviter le retour de Silvio Berlusconi et un peu aussi en soutien à SEL dont le tête de liste est Nicchi Vendola, très populaire président homo de région des Pouilles. D’autres sont tenté-e-s par le MoVimento 5 Stelle (le « Mouvement 5 étoiles »), conduit par Beppe Grillo, qui se présente comme une formation contre les partis et les « castes », anti-corruption, partisane de la démocratie directe via internet et écologiste. Récoltant le mécontentement à gauche mais aussi à droite, il est aujourd’hui crédité de scores très importants (jusqu’à parfois plus de 15 %). Quelques un-e-s seulement voteraient de nouveau pour l’alliance Rivoluzione civile (« Révolution civile »), conduite par le magistrat Antonio Ingroia et regroupant Rifondazione Comunista, le parti « Italie des valeurs », la Fédération des verts, le Parti des communistes italiens et le « Mouvement orange » issu de la société civile. Tou-te-s expriment en tous les cas très peu d’enthousiasme à accomplir leur devoir civique.
Si la participation électorale demeure relativement importante en Italie (notamment comparée à la France, elle était de 80% lors des élections de 2008), le rendez-vous électoral de février devrait contribuer à l’augmentation de l’abstention observée depuis plusieurs années. Actuellement, c’est la coalition de centre-gauche de Bersani qui est en tête des sondages, devant la coalition de droite/extrême-droite (qui regroupe Il Popolo della Libertà, la Lega Nord et Grande Sud), conduite par Silvio Berlusconi, et le centre-droit de Mario Monti. L’ancien commissaire européen et consultant de Goldman Sachs, nommé Premier ministre en novembre 2012 sous la pression des marchés financiers et de l’UE, après la démission du gouvernement Berlusconi IV, va donc finalement se soumettre au suffrage universel. Son gouvernement « technocratique » s’est appuyé sur le très fort rejet de Berlusconi dans l’électorat de gauche pour faire passer sans beaucoup de critiques ni de résistances une très « efficace » politique austéritaire qui a réussi l’exploit de plonger le pays plus avant dans la récession, d’augmenter la dette publique et le chômage, de réduire les droits sociaux et le pouvoir d’achat. Salué pour cela par l’ensemble des commentateurs politiques et médiatiques dominants, il devrait servir d’allié/aiguillon néolibéral et conservateur à l’éventuel prochain gouvernement de centre-gauche. 
La coalition de gauche « Rivoluzione civile », créditée d’à peine 4%-5%, n’est, quant à elle, même pas sure de pouvoir retourner au Parlement. Malgré l’existence de quelques mouvements importants comme le référendum national sur l’eau et la lutte contre le projet de TAV dans la région de Turin, les mobilisations sont à la peine, en manque de perspectives.
A San Remo, ce samedi soir, c’est Marco Mengoni qui a finalement remporté, devant 13 millions de téléspectateur-trices, les suffrages du public et du jury, pour sa chanson « L’essenziale ». Résultat accueilli sans grande surprise par les ami-e-s du Pigneto : c’était l’un des favoris du concours. Il n’empêche, l’année prochaine à la même date, elles et ils se retrouveront, trois soirées de suite, à débattre passionnément, devant leur écran de télévision, des artistes et des chansons en lice. Et dimanche et lundi prochains, celles et ceux qui iront voter pourront toujours se rappeller les paroles de la très belle chanson de Daniele Stravesti, « A Boca Chiusa », ode aux mouvements et à la résistance également présentée en compétition cette année :

« Fatece largo che … passa il corteo [Faites-nous de la place... la manif va passer] 
se riempiono le strade [les rues se remplissent déjà] 
via Merulana, così pare un presepe [et rue Merulana a l’air d’une crèche] 
e semo tanti che quasi fa paura [On est si nombreux qu’on en est presque effrayés] 
o solo tre sfigati come dice la questura [ou comme dit la police, on est juste trois paumés] 
e le parole, si lo so, so’ sempre quelle [Les mots sont toujours les mêmes, c’est vrai] 
ma è uscito il sole e a me me sembrano [mais le soleil s’est pointé et même eux ont l’air] 
più belle [plus beaux] 
scuola e lavoro, che temi originali [école, travail, quelle originalité] 
se non per quella vecchia idea de esse [si ce n’est pour cette vieille idée qu’on pourrait être] 
tutti uguali [tous égaux] 
e senza scudi per proteggermi ne’ armi [Et sans bouclier pour me protéger] 
per difendermi [ni armes pour me défendre] 
ne’ caschi per nascondermi ne’ santi [ni casque pour me cacher ou saints] 
a cui rivolgermi [à qui me vouer] 
ho solo questa lingua in bocca e se [je n’ai que cette langue dans la bouche et si] 
mi tagli pure questa [tu me coupes même ça] 
io non mi fermo, scusa, canto pure [désolé, je ne m’arrêterai pas, je continuerai à chanter] 
… a bocca chiusa [...la bouche fermée] 
Hmm..hmm...hmm...hmm...hmm...hmm...hmm...hmm...hmm...hmm...hmm...hmm 
guarda quanta gente c’è che sa rispondere [regarde tous ces gens qui répondent] 
dopo di me…[après moi...] 
a bocca chiusa [la bouche fermée]».

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