Episode 1 – Sur un air de chanson populaire
Danièle Obono, 18 février 2012
Elles et ils ont entre 25 et 30
ans. Enfants de ce qu’on a appelé la « classe moyenne », enchainant
les petits boulots précaires, de gauche sans être militant-e-s.
La scène se passe un samedi soir,
à Rome, quartier du Pigneto. C’est la finale du célèbre et très populaire
festival de musique de San Remo retransmis en direct à la télévision. En
attendant les résultats des votes du concours, c’est l’intermède politico-humoristique.
Il est question des prochaines élections générales qui ont lieu dans moins d’une
semaine, les 24 et 25 février. L’acteur-chroniqueur Claudio Bisio fustige ceux « qui
disent une chose et en font une autre…ne tiennent pas leurs promesses…sont
incompétents…menteurs….peu fiables ». « Renvoyons les tous chez
eux ! » lance-t-il sous les applaudissements du public à San Remo et
au Pigneto. Puis, prenant tout le monde à contre-pied, il précise :
« Ah mais attention, je ne parle pas des élu-e-s mais des électeur-trice-s,
je parle de nous, les Italien-ne-s, parce que c’est nous qui leur avons donné
un mandat, c’est nous qui les avons élu ». En gros : les
politicien-ne-s sont à l’image des gens, donc on a les politicien-ne-s qu’on
mérite. Et de poursuivre sur les failles et l’hypocrisie de toute la culture
politique du pays. Le propos, délivré sur des airs de trompette en mode mineur,
est sévère voire moraliste. Et si le monologue se termine néanmoins par un
appel à aller voter, pas sûr que cela ait convaincu la petite bande du Pigneto.
Nichi Vendola sur une affiche de campagne de SEL |
Il y a encore cinq ans, elles et
ils votaient tou-te-s pour la gauche radicale. Aujourd’hui, un certain nombre
déclare pour le moment ne pas vouloir aller voter. Parmi celles et ceux qui
pensent quand même y aller, une partie voterait pour la coalition de centre
gauche « Italia. Bene Comune »
(« Italie. Bien commun »). Conduite par Pier Luigi Bersani, elle
regroupe le Partito Democratico (le « Parti démocrate » ou PD,
alliance d’ex-sociaux-démocrates et de centristes/démocrates-chrétiens à l’orientation
social-libérale), « Sinistra Ecologia Libertà » (« Gauche,
écologie et liberté » ou SEL, une scission de Rifondazione Comunista), le petit Partito Socialista Italiano
(« Parti socialiste italien » ou PSI) et Alleanza per l’Italia
(l’« Alliance pour l’Italie », une formation centriste). A gauche, le
vote pour « Italia. Bene Comune »
s’explique à la fois par la volonté d’éviter le retour de Silvio Berlusconi et
un peu aussi en soutien à SEL dont le tête de liste est Nicchi Vendola, très
populaire président homo de région des Pouilles. D’autres sont tenté-e-s par le
MoVimento 5 Stelle (le
« Mouvement 5 étoiles »), conduit par Beppe Grillo, qui se présente
comme une formation contre les partis et les « castes »,
anti-corruption, partisane de la démocratie directe via internet et écologiste.
Récoltant le mécontentement à gauche mais aussi à droite, il est aujourd’hui crédité
de scores très importants (jusqu’à parfois plus de 15 %). Quelques un-e-s
seulement voteraient de nouveau pour l’alliance Rivoluzione civile (« Révolution
civile »), conduite par le magistrat Antonio Ingroia et regroupant Rifondazione Comunista, le parti « Italie
des valeurs », la Fédération des verts, le Parti des communistes italiens
et le « Mouvement orange » issu de la société civile. Tou-te-s
expriment en tous les cas très peu d’enthousiasme à accomplir leur devoir
civique.
Si la participation électorale
demeure relativement importante en Italie (notamment comparée à la France, elle
était de 80% lors des élections de 2008), le rendez-vous électoral de février
devrait contribuer à l’augmentation de l’abstention observée depuis plusieurs
années. Actuellement, c’est la coalition de centre-gauche de Bersani qui est en
tête des sondages, devant la coalition de droite/extrême-droite (qui regroupe Il
Popolo della Libertà, la Lega Nord
et Grande Sud), conduite par Silvio
Berlusconi, et le centre-droit de Mario Monti. L’ancien commissaire européen et
consultant de Goldman Sachs, nommé Premier ministre en novembre 2012 sous la
pression des marchés financiers et de l’UE, après la démission du gouvernement
Berlusconi IV, va donc finalement se soumettre au suffrage universel. Son
gouvernement « technocratique » s’est appuyé sur le très fort rejet
de Berlusconi dans l’électorat de gauche pour faire passer sans beaucoup de
critiques ni de résistances une très « efficace » politique
austéritaire qui a réussi l’exploit de plonger le pays plus avant dans la
récession, d’augmenter la dette publique et le chômage, de réduire les droits
sociaux et le pouvoir d’achat. Salué pour cela par l’ensemble des commentateurs
politiques et médiatiques dominants, il devrait servir d’allié/aiguillon
néolibéral et conservateur à l’éventuel prochain gouvernement de centre-gauche.
La coalition de gauche « Rivoluzione
civile », créditée d’à peine 4%-5%, n’est, quant à elle, même pas sure
de pouvoir retourner au Parlement. Malgré l’existence de quelques mouvements
importants comme le
référendum national sur l’eau et la lutte
contre le projet de TAV dans la région de Turin, les mobilisations sont à
la peine, en manque de perspectives.
A San Remo, ce samedi soir, c’est
Marco Mengoni qui a finalement remporté, devant 13 millions de
téléspectateur-trices, les suffrages du public et du jury, pour sa chanson
« L’essenziale
». Résultat accueilli sans grande surprise par les ami-e-s du Pigneto : c’était
l’un des favoris du concours. Il n’empêche, l’année prochaine à la même date,
elles et ils se retrouveront, trois soirées de suite, à débattre passionnément,
devant leur écran de télévision, des artistes et des chansons en lice. Et dimanche et lundi prochains, celles et
ceux qui iront voter pourront toujours se rappeller les paroles de la très
belle chanson de Daniele Stravesti, « A
Boca Chiusa », ode aux mouvements et à la résistance également présentée
en compétition cette année :
« Fatece largo che … passa il corteo [Faites-nous
de la place... la manif va passer]
se riempiono le strade [les rues se remplissent déjà]
via Merulana, così pare un
presepe [et rue Merulana
a l’air d’une crèche]
e semo tanti che quasi fa
paura [On est si nombreux
qu’on en est presque effrayés]
o solo tre sfigati come dice la questura [ou comme dit la police,
on est juste trois paumés]
e le parole, si lo so, so’ sempre quelle [Les mots sont toujours
les mêmes, c’est vrai]
ma è uscito il sole e a me me sembrano [mais le soleil s’est pointé
et même eux ont l’air]
più belle [plus beaux]
scuola e lavoro, che temi
originali [école,
travail, quelle originalité]
se non per quella vecchia idea de esse [si ce n’est pour cette
vieille idée qu’on pourrait être]
tutti uguali [tous égaux]
e senza scudi per proteggermi ne’ armi [Et sans bouclier pour me
protéger]
per difendermi [ni armes pour me défendre]
ne’ caschi per nascondermi ne’ santi [ni casque pour me cacher ou
saints]
a cui rivolgermi [à qui me vouer]
ho solo questa lingua in bocca e se [je n’ai que cette langue dans
la bouche et si]
mi tagli pure questa [tu me coupes même ça]
io non mi fermo, scusa,
canto pure [désolé, je ne m’arrêterai pas, je continuerai à chanter]
… a bocca chiusa [...la bouche fermée]
Hmm..hmm...hmm...hmm...hmm...hmm...hmm...hmm...hmm...hmm...hmm...hmm
guarda quanta gente c’è che
sa rispondere [regarde tous ces gens qui répondent]
dopo di me…[après moi...]
a bocca chiusa [la bouche fermée]».
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