Stéphanie
Treillet, Convergences et alternative,
n° 11, juillet 2012, p. 7-8.
On
ne pourra mener une politique à gauche en acceptant un pacte d’austérité imposé
à toute l’Europe. Il faut se mobiliser pour la non-ratification au Parlement et
pour un référendum.
Les décisions qui sont sorties du Conseil européen
des 28-29 juin représentent, pour toute l’Europe, un pas de plus dans l’austérité
et le déni de la démocratie. Les engagements pris par F. Hollande, venant à la
suite de son approbation de la constitution, par l’alliance Nouvelle
démocratie-Pasok, du gouvernement
pro-austérité en Grèce, vont dans le même sens.
Les députés et sénateurs du Parti
socialiste, à quelques trop rares exceptions près, s’étaient abstenus en mars
dernier sur le Mécanisme européen de
stabilité (MES) assorti de la « règle d’or » du Pacte budgétaire, avançant la
promesse qu’une fois élu à la présidence de la République, F. Hollande le renégocierait
avant toute ratification par la France.
Ce nouveau « Traité sur la stabilité, la coordination
et le gouvernance » (TSCG) représente en effet un tour de vis supplémentaire
dans l’austérité par rapport au Pacte de stabilité et de croissance, adopté en
1997, qui obligeait les pays membres de la zone euro à maintenir des déficits publics
(1) inférieurs à 3 % du PIB. Aucun pays, pas même l’Allemagne, n’a pu au cours
de ces années respecter cette règle en permanence, et la France fait l’objet d’une
surveillance renforcée depuis plus de dix ans du fait de son « déficit excessif
». Le nouveau Pacte budgétaire prévoit que les déficits structurels ne pourront
pas dépasser 0,5 % du PIB (le déficit structurel désigne les déficits publics
hors effets des variations de la conjoncture économique, mais c’est un
indicateur sur la mesure duquel tous les économistes ne s’accordent pas !), ce
qui aura pour conséquence d’entraver non seulement toute mesure budgétaire de
relance de l’activité économique, mais également d’interdire toute augmentation
des investissements publics (recherche, infrastructures, éducation…) pour l’avenir.
Face à cela, le
« volet croissance » que F. Hollande se targue d’avoir obtenu face à A. Merkel paraît
bien dérisoire. En premier lieu on rappellera que les dirigeants socialistes
sont coutumiers de ce tour de passe-passe : en 1997 au sommet d’Amsterdam, L. Jospin avait déjà fait ajouter le mot croissance pour justifier
sa signature du Pacte de stabilité. On connaît la suite ... aujourd’hui le
volet en question prévoit 120 milliards d’euros de dépenses, mais dont une
moitié est constituée de « fonds structurels » non utilisés jusqu’à présent mais
déjà réaffectés, et l’autre moitié de « project bonds », emprunts communs qui
financeraient des grands travaux dans le secteur privé – projets pour lesquels
les gouvernements français et allemand se sont mis d’accord pour recapitaliser
la Banque européenne d’investissement. On le voit, pas de quoi sérieusement
contrecarrer la dynamique récessive !
Bien loin de
marquer un recul de la logique néolibérale, le résultat du Conseil européen
ouvre la voie à son renforcement. En effet, les bases économiques et institutionnelles
de la construction de la zone euro étaient, dès le départ, porteuses d’une
logique de divergence : il s’agissait de placer sous l’égide d’une politique
monétaire unique des économies nationales très hétérogènes, avec des niveaux de
productivité très éloignés, et pour lesquels la « concurrence libre et non
faussée », en réalité la politique de guerre commerciale engagée par les économies
les plus avancées du Nord de la zone euro ne pourraient que se traduire pour
les économies du Sud de l’Europe par un retard économique et des déficits
accrus, après quelques années de croissance et de « rattrapage « pouvant faire
illusion. Non seulement l’aggravation de ces divergences structurelles était
inscrite dans la conception même de la zone, mais des mécanismes qui
auraient pu permettre de la corriger ont été explicitement exclus dans les
traités : la clause de « no bail out » prévue dans le traité de Lisbonne stipule
qu’il en peut y avoir de solidarité financière entre les pays membres en cas de
crise de l’un d’eux. Le Fond européen de solidarité financière (FESF), qui doit
être remplacé par le Mécanisme européen de stabilité (MES), n’est qu’un
dispositif soumettant davantage les pays endettés aux marchés financiers et
conditionnant les « aides » reçues aux plans d’austérité dictés par la troïka.
On
observe là à la fois des contradictions entre les différents bourgeoisies
nationales, et un dilemme que la bourgeoisie européenne dans son ensemble
cherche à résoudre de différentes manières depuis le début. Jusqu’à présent, la
méthode retenue a été la méthode intergouvernementale (un compromis entre
gouvernements nationaux, en tout cas les plus puissants d’entre eux, pour résoudre
au fur et à mesure les problèmes posés et tenter de pallier la convergence
absente). Cette méthode s’est adossée sur une « politique de règles », qui
reste le maître mot de la « gouvernance » néolibérale : les gouvernements s’interdisent
toute politique « discrétionnaire », c’est-à-dire répondant aux variations de
la conjoncture et de l’activité économique, par exemple une politique de
relance en cas de récession. Ils posent des règles intangibles, destinées à
soustraire toutes les politiques publiques à tout contrôle démocratique afin d’en
assurer la crédibilité auprès des marchés financiers : l’indépendance de la
BCE, comme les différentes versions du Pacte d’austérité, répondent à cette exigence.
En ce sens, l’Etat néolibéral n’est en rien un Etat minimal comme on le croit
trop souvent, mais a toutes les caractéristiques d’une technocratie omniprésente.
Or
l’impuissance de la méthode intergouvernementale, patente depuis les débuts de la
crise, pousse aujourd’hui les classes dirigeantes européennes à franchir un
nouveau pas, qui représente un saut qualitatif vers ce qu’on pourrait caractériser
comme un fédéralisme autoritaire.
Ainsi,
la ratification du TSCG doit être assortie d’une contrôle a priori par la
Commission européenne des Lois de finance de tous les pays membres, dépossédant
ainsi des Etats d’un élément essentiel de la souveraineté démocratique (qu’on pense
à l’importance de l’impôt dan la constitution de démocraties et de la
citoyenneté moderne). Une supervision européenne des banques nationales aura lieu
sous le contrôle de la BCE.
Face
à cette confiscation, la réponse ne peut être un illusoire et dangereux repli
sur les souverainetés nationales. Elle ne peut être non plus de plaider une
humanisation et une démocratisation de ce fédéralisme. La mise en place d’une
autre Europe, fondée sur la solidarité et la coopération entre les peuples, ne
peut passer que par des processus d’affrontement aux marchés financiers et de
désobéissance aux diktats de l’Europe néolibérale, créant les conditions d’une
remise en cause de traités de Maastricht et de Lisbonne. Dans immédiat le
gouvernement français ne doit pas ratifier le Pacte budgétaire et la population
doit être consultée par référendum. Comme l’exigent un nombre croissant de
signataires de l’appel lancé par Attac et la Fondation Copernic. (3)
(1)
Les soldes publics tels que définis par les traités européens sont constitués
par la somme du solde budgétaire (recettes – dépenses de l’administration
centrale de l’Etat), de celui des collectivités territoriales et de celui des
administrations de Sécurité sociale.
(2)
Cf. T. Coutrot, « Ce n’est pas une erreur, c’est une stratégie », Le Monde
15 novembre 2011 http://www.lemonde.fr/idees/article/2011/11/15/attac-ce-n-est-pas-une-erreur-c-est-unestrategie_1603582_3232.html
et P. Khalfa, « MES, TSCG… l’Europe du pire ! », 21 février 2012, http://www.fondation-copernic.org/spip.php?article553
(3)
Lettre ouverte à François Hollande pour un référendum sur le Pacte budgétaire http://www.france.attac.org/lettre-ouverte-francois-hollandepour-un-referendum-sur-le-pacte-budgetaire
et http://www.fondation-copernic.org/spip.php?article695
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