mercredi 18 juillet 2012

Refuser de ratifier le pacte budgétaire européen

Stéphanie Treillet, Convergences et alternative, n° 11, juillet 2012, p. 7-8.

On ne pourra mener une politique à gauche en acceptant un pacte d’austérité imposé à toute l’Europe. Il faut se mobiliser pour la non-ratification au Parlement et pour un référendum.
Les décisions qui sont sorties du Conseil européen des 28-29 juin représentent, pour toute l’Europe, un pas de plus dans l’austérité et le déni de la démocratie. Les engagements pris par F. Hollande, venant à la suite de son approbation de la constitution, par l’alliance Nouvelle démocratie-Pasok, du gouvernement pro-austérité en Grèce, vont dans le même sens.
Les députés et sénateurs du Parti socialiste, à quelques trop rares exceptions près, s’étaient abstenus en mars dernier sur le Mécanisme européen  de stabilité (MES) assorti de la « règle d’or » du Pacte budgétaire, avançant la promesse qu’une fois élu à la présidence de la République, F. Hollande le renégocierait avant toute ratification par la France.
Ce nouveau « Traité sur la stabilité, la coordination et le gouvernance » (TSCG) représente en effet un tour de vis supplémentaire dans l’austérité par rapport au Pacte de stabilité et de croissance, adopté en 1997, qui obligeait les pays membres de la zone euro à maintenir des déficits publics (1) inférieurs à 3 % du PIB. Aucun pays, pas même l’Allemagne, n’a pu au cours de ces années respecter cette règle en permanence, et la France fait l’objet d’une surveillance renforcée depuis plus de dix ans du fait de son « déficit excessif ». Le nouveau Pacte budgétaire prévoit que les déficits structurels ne pourront pas dépasser 0,5 % du PIB (le déficit structurel désigne les déficits publics hors effets des variations de la conjoncture économique, mais c’est un indicateur sur la mesure duquel tous les économistes ne s’accordent pas !), ce qui aura pour conséquence d’entraver non seulement toute mesure budgétaire de relance de l’activité économique, mais également d’interdire toute augmentation des investissements publics (recherche, infrastructures, éducation…) pour l’avenir.
De plus, les sanctions financières imposées aux pays pour dépassement seront désormais automatiques (il faudra une majorité qualifiée au Conseil pour les bloquer alors qu’auparavant il en fallait une pour les initier). On voit bien qu’un tel dispositif, surtout appliqué simultanément dans tous les pays de la zone dans un contexte de croissance déjà faible, ne peut que plonger l’Europe entière dans la récession et creuser encore en retour les déficits publics. Les dirigeants de la « troïka » (BCE, FMI, Commission européenne) peuvent-ils être aveugles au point de l’ignorer ? On peut penser au contraire qu’ils en sont parfaitement conscients et que ces politiques de choc, comme nous le montrent les exemples de la Grèce et de l’Espagne, ne sont mises en oeuvre que pour ouvrir la voie à des « réformes structurelles » allant au-delà des politiques immédiates d’austérité, et visant à libéraliser totalement les économies (marchés du travail, protection sociale, services publics) pour remettre en cause tous les acquis sociaux. (2)
Face à cela, le « volet croissance » que F. Hollande se targue d’avoir obtenu face à A. Merkel paraît bien dérisoire. En premier lieu on rappellera que les dirigeants socialistes sont coutumiers de ce tour de passe-passe : en 1997 au sommet d’Amsterdam, L. Jospin avait déjà fait ajouter le mot croissance pour justifier sa signature du Pacte de stabilité. On connaît la suite ... aujourd’hui le volet en question prévoit 120 milliards d’euros de dépenses, mais dont une moitié est constituée de « fonds structurels » non utilisés jusqu’à présent mais déjà réaffectés, et l’autre moitié de « project bonds », emprunts communs qui financeraient des grands travaux dans le secteur privé – projets pour lesquels les gouvernements français et allemand se sont mis d’accord pour recapitaliser la Banque européenne d’investissement. On le voit, pas de quoi sérieusement contrecarrer la dynamique récessive !
Bien loin de marquer un recul de la logique néolibérale, le résultat du Conseil européen ouvre la voie à son renforcement. En effet, les bases économiques et institutionnelles de la construction de la zone euro étaient, dès le départ, porteuses d’une logique de divergence : il s’agissait de placer sous l’égide d’une politique monétaire unique des économies nationales très hétérogènes, avec des niveaux de productivité très éloignés, et pour lesquels la « concurrence libre et non faussée », en réalité la politique de guerre commerciale engagée par les économies les plus avancées du Nord de la zone euro ne pourraient que se traduire pour les économies du Sud de l’Europe par un retard économique et des déficits accrus, après quelques années de croissance et de « rattrapage « pouvant faire illusion. Non seulement l’aggravation de ces divergences structurelles était inscrite dans la conception même de la zone, mais des mécanismes qui auraient pu permettre de la corriger ont été explicitement exclus dans les traités : la clause de « no bail out » prévue dans le traité de Lisbonne stipule qu’il en peut y avoir de solidarité financière entre les pays membres en cas de crise de l’un d’eux. Le Fond européen de solidarité financière (FESF), qui doit être remplacé par le Mécanisme européen de stabilité (MES), n’est qu’un dispositif soumettant davantage les pays endettés aux marchés financiers et conditionnant les « aides » reçues aux plans d’austérité dictés par la troïka.
On observe là à la fois des contradictions entre les différents bourgeoisies nationales, et un dilemme que la bourgeoisie européenne dans son ensemble cherche à résoudre de différentes manières depuis le début. Jusqu’à présent, la méthode retenue a été la méthode intergouvernementale (un compromis entre gouvernements nationaux, en tout cas les plus puissants d’entre eux, pour résoudre au fur et à mesure les problèmes posés et tenter de pallier la convergence absente). Cette méthode s’est adossée sur une « politique de règles », qui reste le maître mot de la « gouvernance » néolibérale : les gouvernements s’interdisent toute politique « discrétionnaire », c’est-à-dire répondant aux variations de la conjoncture et de l’activité économique, par exemple une politique de relance en cas de récession. Ils posent des règles intangibles, destinées à soustraire toutes les politiques publiques à tout contrôle démocratique afin d’en assurer la crédibilité auprès des marchés financiers : l’indépendance de la BCE, comme les différentes versions du Pacte d’austérité, répondent à cette exigence. En ce sens, l’Etat néolibéral n’est en rien un Etat minimal comme on le croit trop souvent, mais a toutes les caractéristiques d’une technocratie omniprésente.
Or l’impuissance de la méthode intergouvernementale, patente depuis les débuts de la crise, pousse aujourd’hui les classes dirigeantes européennes à franchir un nouveau pas, qui représente un saut qualitatif vers ce qu’on pourrait caractériser comme un fédéralisme autoritaire.
Ainsi, la ratification du TSCG doit être assortie d’une contrôle a priori par la Commission européenne des Lois de finance de tous les pays membres, dépossédant ainsi des Etats d’un élément essentiel de la souveraineté démocratique (qu’on pense à l’importance de l’impôt dan la constitution de démocraties et de la citoyenneté moderne). Une supervision européenne des banques nationales aura lieu sous le contrôle de la BCE.
Face à cette confiscation, la réponse ne peut être un illusoire et dangereux repli sur les souverainetés nationales. Elle ne peut être non plus de plaider une humanisation et une démocratisation de ce fédéralisme. La mise en place d’une autre Europe, fondée sur la solidarité et la coopération entre les peuples, ne peut passer que par des processus d’affrontement aux marchés financiers et de désobéissance aux diktats de l’Europe néolibérale, créant les conditions d’une remise en cause de traités de Maastricht et de Lisbonne. Dans immédiat le gouvernement français ne doit pas ratifier le Pacte budgétaire et la population doit être consultée par référendum. Comme l’exigent un nombre croissant de signataires de l’appel lancé par Attac et la Fondation Copernic. (3)

(1) Les soldes publics tels que définis par les traités européens sont constitués par la somme du solde budgétaire (recettes – dépenses de l’administration centrale de l’Etat), de celui des collectivités territoriales et de celui des administrations de Sécurité sociale.
(2) Cf. T. Coutrot, « Ce n’est pas une erreur, c’est une stratégie », Le Monde 15 novembre 2011 http://www.lemonde.fr/idees/article/2011/11/15/attac-ce-n-est-pas-une-erreur-c-est-unestrategie_1603582_3232.html et P. Khalfa, « MES, TSCG… l’Europe du pire ! », 21 février 2012, http://www.fondation-copernic.org/spip.php?article553

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