Carnets de voyage en terre hellène, par Danièle Obono
Mercredi 27 juin
Arrivée à Athènes pour le
festival « Resistance
2012 », le rendez-vous estival national de KOE. L’accueil est chaleureux et impeccable. Comme
à Héraklion, les camarades ont enchainé deux campagnes législatives
consécutives (en mai et en juin) et la préparation de cette initiative.
Chapeau bas !
Direction le siège de KOE, un bel
immeuble situé dans le quartier Rouf, une ancienne zone industrielle en court
de réhabilitation. Au rez-de-chaussée, les camarades tiennent un bar-café politique @Ρουφ
où sont organisés débats politiques, concerts, pièces de théâtre, projections
ciné, etc. Dans les étages se trouvent
des salles de réunions et l’équipe de rédaction de leur journal hebdomadaire
« Δρόμος της Αριστεράς » (« Dromos
tis Aristerás », qui signifie
« le chemin de la gauche »). Sur le trajet, on passe notamment devant
le Parlement grec et la fameuse place Syntagma (Πλατεία Συντάγματος,
Platía Syntágmatos), où se sont
déroulées l’occupation et les grandes manifestations anti-austérité et
pro-démocratie de 2010-2011. La dernière grande mobilisation a eu lieu en
février 2012 avec près de 500 000 personnes rassemblées sur la place pour
protester contre les nouvelles mesures d’austérité du gouvernement d’intérim
Papademos. Puis, c’est dans les urnes que la contestation s’est faite entendre,
à travers le résultat de Syriza. Si la droite est arrivée en tête, c’est au
moyen d’une propagande inouïe, relayée par tous les gouvernements européens.
Mais la situation est loin d’être stabilisée. Face au gouvernement
austéritaire, le peuple reste attentif, la rue veille...
Au siège de KOE, ce sont les retrouvailles
avec Petros Al Ahmar qui a déjà été notre traducteur pendant le festival
crétois « MayDays »[1]. Avec
Errikos Finalis et Tina Strikou, active militante de la solidarité avec la
Palestine qui revient d’un séjour de plusieurs mois au Moyen-Orient, il forme
la sympathique petite équipe de KOE chargée des délégations étrangères. Le
séjour athénien peut commencer !
Vendredi 29 juin
« Το μέλλον είναι τώρα! » (« To mellon einai tora »,
« Le Futur c’est maintenant ! »)
Au programme du festival
« Resistance 2012 » organisé dans le parc de l’Ecole d’agronomie
d’Athènes : 3 jours de débats, de rencontres, de concerts…, qui vont
rassembler des milliers de participant-e-s venant de toute la Grèce et
plusieurs délégations internationales.
Aujourd’hui en même temps que la
table-ronde « Occupy : Indignados of the Wordl, unite ! »
qui réunit les camarades états-unien, tunisien et catalan, a lieu un atelier
sur les réseaux de distribution alimentaire qui court-circuitent les
intermédiaires avec les militants de différents groupes d’action du Pirée,
d’Athènes et d’Attica. En début de soirée, les intervenant-e-s européen-ne-s (du
Bloco de Esquerda du Portugal, de Die Linke d’Allemagne, d’Esquerra Republicana
en Catalogne et votre dévouée pour le Front de Gauche) débattent avec un député
de KOE/Syriza sur le thème « Nous sommes tou-te-s Grecs : les défis
d’une Europe des peuples ». La camarade députée de Die Linke n’a
finalement pas pu venir pour cause de vote du Bundestag demain sur le Traité
européen. Mais elle a envoyé un message de solidarité fort applaudi par
l’assistance. La résistance du peuple grec et les succès de Syriza sont salués
et soulignés par tou-te-s, à la fois comme sources d’encouragement et
d’inspiration mais aussi levier stratégique dans le combat pour une autre
Europe. De l’expérience du Front de gauche, ce sont les assemblées citoyennes
et la bataille contre le Front national qui suscitent le plus l’attention. Le
slogan « Le problème ce n’est pas l’immigré, c’est le banquier » est
particulièrement apprécié et est même repris en conclusion par la coordinatrice
du débat !
Samedi, ce sera au tour des
camarades de Voie démocratique du Maroc, de la Popular Socialist Alliance
d’Egypte et du de la Juventud Comunista Revolucionaria d’Argentine, aux côtés
d’un autre député de KOE/Syriza sur le thème « La gauche, les révoltes
des peuples et le pouvoir ». Dimanche, le meeting central qui porte sur le
thème « Un pays en transition : la lutte pour une autre Grèce » devrait
attirer encore plus de monde que d’habitude, avec Alexis Tsipras, le président
de Syriza, Sofia Sakorafa, ancienne membre du Pasok et députée de Syriza qui a
obtenu le meilleur résultat aux élections de juin, Eftychios Bitsakis, professeur de philosophie
et proche du groupe Antarsya, et Rudi Rinaldi, membre du secrétariat politique
de KOE. Le dilemme du jour aussi : Alexis Tsipras vs Torres/Buffon et
Balotelli/ Casillas !!! Dur, dur…
Samedi 30 juin
Dans la matinée, les camarades de
KOE ont organisé, en « off », un séminaire international, afin de
nous présenter un peu plus en détails la situation dans le pays et pour
permettre aux délégations étrangères d’échanger aussi sur leurs situations.
Autour de la table, il y a des camarades de différentes organisations
d’Allemagne, d’Argentine, de Catalogne, d’Ecosse, d’Egypte, des Etats-Unis, de
France, de La Réunion, du Maroc, de Tunisie, de Turquie.
Les camarades de KOE nous
racontent notamment leur investissement – ainsi que celui des autres
militant-e-s et organisations de Syriza – dans le mouvement de la place
Syntagma, leur choix d’être en phase avec le radicalisme populaire. Les autres
organisations de gauche ont d’abord regardé le mouvement de loin, avec
scepticisme, et ont constamment été « en retard » sur la
mobilisation, se contentant par exemple de revendications économiques quand la
rue exigeaient « qu’ils s’en aillent tous ». Plus généralement, les
militant-e-s de Syriza sont très impliqué-e-s dans la plupart des mouvements
sociaux : dans la jeunesse, dans les comités de solidarité dans les
quartiers populaires, les collectifs qui refusent de payer les nouvelles taxes,
etc. Elles et ils rencontrent un peu plus de difficultés au niveau syndical en
partie liées au fait que les principaux dirigeants syndicaux sont encore des
membres du Pasok. Mais ça aussi, c’est en train de changer… Un des principaux
problèmes auxquels Syriza (et la gauche en général), doit faire face
aujourd’hui dans la rue, c’est la stratégie de tension créée par les néo-nazis
de l’Aube dorée. Si ces derniers n’ont en fait pas progressé entre mai et juin,
ils servent surtout très directement les classes dirigeantes et les forces les
plus réactionnaires comme arme pour briser les mouvements. Ils ont pris ces
derniers mois pour cibles privilégié-e-s de leur fréquentes attaques physique
les migrant-e-s dont un grand nombre sont transféré-e-s et parqué-e-s en Grèce
dans des conditions déplorables, en vertu du règlement
de Dublin II. Le prochain festival antiraciste qui a lieu début juillet à
Athènes sera l’occasion pour les migrant-e-s et les militant-e-s grec-que-s de
réfléchir et d’organiser la solidarité et la riposte.
Pendant les deux campagnes
électorales, Syriza a principalement défendu trois grandes
revendications : le refus du Mémorandum, la renégociation de la dette, et
la relance agricole et industrielle du pays. Aujourd’hui, la Coalition
réfléchit à franchir très vite une nouvelle étape, à se transformer en faisant
directement appel aux forces populaires, créant un front politique et social du
peuple. C’est sur cela qu’insiste en particulier Alexis Tsipras, lors de la
conférence nationale des délégué-e-s de Syriza qui se tient justement
aujourd’hui et demain pas très loin du festival. Il introduit également l’idée
que Syriza ne souhaite pas seulement prendre le pouvoir mais aussi pour la
transformation radicale de la société.
Dimanche 1er juillet
A midi, visite du musée du « 17
aout 1944 » à Nikkaia (ou Néa Kokkinia), une ville de la banlieue
d’Athènes, dans le district du Pirée. Dans les années 1920, après la défaite
contre la Turquie, c’est dans cette banlieue pauvre que s’installent les
réfugié-e-s grec-que-s d’Asie mineur qui vont y fonder, avec les autres émigrés
des iles et du continent, le rebétiko
(ρεμπέτικο),
un genre musical populaire et souvent subversif. C’est également là qu’a lieu
un des nombreux massacres perpétrés par les forces d’occupation allemande
pendant la Seconde guerre mondiale. Cette région du Pirée, surnommée « Le
petit Moscou », est le centre d’une très forte résistance qui a jusque là empêché
les forces allemandes de l’occuper. Le 17 aout 1944 des bataillons de sécurité
encerclent la ville, détruisent et brulent les maisons, exécutent les dizaines
de résistants et militants communistes dénoncés par les collabos grecs. C’est
dans la cour de l’actuel musée qu’ont eu lieu les exécutions. Là, se dresse
désormais une statue du résistant communiste Aris Velouchiotis [2],
et où que l’on mette le pas,
on marche sur le sang des partisans, nous confie un camarade…Apparue aux
dernières élections, la présence, quoique faible, de l’extrême-droite
(le Laos et l’Aube dorée) y est d’autant plus difficile à avaler pour les
militant-e-s. Toutefois, après avoir été pendant longtemps un des bastions du
Parti communiste grec (KKE), c’est aujourd’hui une place forte de Syriza, et
pour KOE l’une des premières expériences électorales (municipale) réussie.
En fin de journée, lors du
dernier (et le plus gros) débat du festival, le seul organisé de la journée,
sur le thème « Un pays en transition : la lutte pour une autre
Grèce », les références à l’Histoire et à la lutte de libération nationale
sont également très présents. Pour Sofia Sakorafa, il s’agit désormais pour
Syriza de construire un front du peuple similaire au Front de libération
nationale des années 1940. Toutes les interventions suivantes vont dans le même
sens. Rudi Rinaldi de KOE insiste également sur le fait qu’il ne s’agit pas
d’être seulement la meilleure opposition au Parlement mais de devenir une force
pour la transformation de la société. Le philosophe Eftychios Bitsakis appuie
l’appel au rassemblement des forces de gauche et des forces populaires, en
affirmant que le programme de Syriza correspond aux taches immédiates de la
période. Alexis Tsipras rappelle le processus des derniers mois qui a conduit
aux succès de Syriza, en faisant notamment référence aux dynamiques qu’ont
connu de nombreux pays d’Amérique du sud au cours des dernières années. Mais
pour les masses, ces résultats électoraux ne répondent pas à leurs attentes.
Syriza est face à une responsabilité historique pour le peuple de Grèce, pour
les peuples d’Europe et ailleurs dans le monde. Il faut élargir Syriza, se
battre pour l’unité dans l’action de toute la gauche et constituer un mouvement
qui organise le peuple pour la prise du pouvoir et planifie « le jour
d’après », la transformation de la société, une sorte de « socialisme
du 21e siècle »…
La portée historique des succès
de Syriza est bien de monter que désormais, « tout est possible ».
Comme l’écrit Stathis Kouvelakis, pour les classes populaires « la victoire est
à nouveau à l’ordre du jour. Pour elles, le XXIe siècle vient peut-être
seulement, enfin, de commencer. » [3] Ce
dimanche soir à Kiev, les Rouges ont gagné le match et conquis le cœur de
l’Europe. A Athènes, au son du luth crétois de Psarogiorgis, le festival
« Résistance 2012 » qui se termine sur une note mêlant détermination,
enthousiasme et gravité en appelle à d’autres victoires, encore plus belles.
[1] Pour la petite histoire,
en forme de « spéciale dédicace » aux camarades du PCOF, il a en
partie appris le français en lisant le journal « La Forge » !
Mais sinon, c’est un super camarade…
[2] Άρης Βελουχιώτης, de son vrai nom Athanasios Thanasis Klaras), résistant
communiste et principal chef de l’armée populaire de libération nationale
(Ελληνικός Εθνικός Λαϊκός Απελευθερωτικός Στρατός, « Ellinikós
Ethnikós Laikós Apeleftherotikós Stratós », en abrégé ELAS), la branche armée du Front de
libération nationale (Εθνικό Απελευθερωτικό Μέτωπο, « Ethnikó
Apeleftherotikó Métopo », en abrégé EAM.
[3] Stathis Kouvelakis, « Syriza, ou le « miracle grec »,
Contretemps en ligne, 1er juillet 2012.
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