mardi 3 juillet 2012

Chronique athénienne

Carnets de voyage en terre hellène, par Danièle Obono

Mercredi 27 juin
Arrivée à Athènes pour le festival « Resistance 2012 », le rendez-vous estival national de KOE. L’accueil est chaleureux et impeccable. Comme à Héraklion, les camarades ont enchainé deux campagnes législatives consécutives (en mai et en juin) et la préparation de cette initiative. Chapeau bas !
Direction le siège de KOE, un bel immeuble situé dans le quartier Rouf, une ancienne zone industrielle en court de réhabilitation. Au rez-de-chaussée, les camarades tiennent un bar-café politique @Ρουφ où sont organisés débats politiques, concerts, pièces de théâtre, projections ciné, etc.  Dans les étages se trouvent des salles de réunions et l’équipe de rédaction de leur journal hebdomadaire « Δρόμος της Αριστεράς » (« Dromos tis Aristerás », qui signifie « le chemin de la gauche »). Sur le trajet, on passe notamment devant le Parlement grec et la fameuse place Syntagma (Πλατεία Συντάγματος, Platía Syntágmatos), où se sont déroulées l’occupation et les grandes manifestations anti-austérité et pro-démocratie de 2010-2011. La dernière grande mobilisation a eu lieu en février 2012 avec près de 500 000 personnes rassemblées sur la place pour protester contre les nouvelles mesures d’austérité du gouvernement d’intérim Papademos. Puis, c’est dans les urnes que la contestation s’est faite entendre, à travers le résultat de Syriza. Si la droite est arrivée en tête, c’est au moyen d’une propagande inouïe, relayée par tous les gouvernements européens. Mais la situation est loin d’être stabilisée. Face au gouvernement austéritaire, le peuple reste attentif, la rue veille...
Au siège de KOE, ce sont les retrouvailles avec Petros Al Ahmar qui a déjà été notre traducteur pendant le festival crétois « MayDays »[1]. Avec Errikos Finalis et Tina Strikou, active militante de la solidarité avec la Palestine qui revient d’un séjour de plusieurs mois au Moyen-Orient, il forme la sympathique petite équipe de KOE chargée des délégations étrangères. Le séjour athénien peut commencer !
 
Vendredi 29 juin
« Το μέλλον είναι τώρα! » (« To mellon einai tora », « Le Futur c’est maintenant ! ») 
Au programme du festival « Resistance 2012 » organisé dans le parc de l’Ecole d’agronomie d’Athènes : 3 jours de débats, de rencontres, de concerts…, qui vont rassembler des milliers de participant-e-s venant de toute la Grèce et plusieurs délégations internationales.
Aujourd’hui en même temps que la table-ronde « Occupy : Indignados of the Wordl, unite ! » qui réunit les camarades états-unien, tunisien et catalan, a lieu un atelier sur les réseaux de distribution alimentaire qui court-circuitent les intermédiaires avec les militants de différents groupes d’action du Pirée, d’Athènes et d’Attica. En début de soirée, les intervenant-e-s européen-ne-s (du Bloco de Esquerda du Portugal, de Die Linke d’Allemagne, d’Esquerra Republicana en Catalogne et votre dévouée pour le Front de Gauche) débattent avec un député de KOE/Syriza sur le thème « Nous sommes tou-te-s Grecs : les défis d’une Europe des peuples ». La camarade députée de Die Linke n’a finalement pas pu venir pour cause de vote du Bundestag demain sur le Traité européen. Mais elle a envoyé un message de solidarité fort applaudi par l’assistance. La résistance du peuple grec et les succès de Syriza sont salués et soulignés par tou-te-s, à la fois comme sources d’encouragement et d’inspiration mais aussi levier stratégique dans le combat pour une autre Europe. De l’expérience du Front de gauche, ce sont les assemblées citoyennes et la bataille contre le Front national qui suscitent le plus l’attention. Le slogan « Le problème ce n’est pas l’immigré, c’est le banquier » est particulièrement apprécié et est même repris en conclusion par la coordinatrice du débat !
Samedi, ce sera au tour des camarades de Voie démocratique du Maroc, de la Popular Socialist Alliance d’Egypte et du de la Juventud Comunista Revolucionaria d’Argentine, aux côtés d’un autre député de KOE/Syriza sur le thème «  La gauche, les révoltes des peuples et le pouvoir ». Dimanche, le meeting central qui porte sur le thème « Un pays en transition : la lutte pour une autre Grèce » devrait attirer encore plus de monde que d’habitude, avec Alexis Tsipras, le président de Syriza, Sofia Sakorafa, ancienne membre du Pasok et députée de Syriza qui a obtenu le meilleur résultat aux élections de juin,  Eftychios Bitsakis, professeur de philosophie et proche du groupe Antarsya, et Rudi Rinaldi, membre du secrétariat politique de KOE. Le dilemme du jour aussi : Alexis Tsipras vs Torres/Buffon et Balotelli/ Casillas !!! Dur, dur…

Samedi 30 juin
Dans la matinée, les camarades de KOE ont organisé, en « off », un séminaire international, afin de nous présenter un peu plus en détails la situation dans le pays et pour permettre aux délégations étrangères d’échanger aussi sur leurs situations. Autour de la table, il y a des camarades de différentes organisations d’Allemagne, d’Argentine, de Catalogne, d’Ecosse, d’Egypte, des Etats-Unis, de France, de La Réunion, du Maroc, de Tunisie, de Turquie.
Les camarades de KOE nous racontent notamment leur investissement – ainsi que celui des autres militant-e-s et organisations de Syriza – dans le mouvement de la place Syntagma, leur choix d’être en phase avec le radicalisme populaire. Les autres organisations de gauche ont d’abord regardé le mouvement de loin, avec scepticisme, et ont constamment été « en retard » sur la mobilisation, se contentant par exemple de revendications économiques quand la rue exigeaient « qu’ils s’en aillent tous ». Plus généralement, les militant-e-s de Syriza sont très impliqué-e-s dans la plupart des mouvements sociaux : dans la jeunesse, dans les comités de solidarité dans les quartiers populaires, les collectifs qui refusent de payer les nouvelles taxes, etc. Elles et ils rencontrent un peu plus de difficultés au niveau syndical en partie liées au fait que les principaux dirigeants syndicaux sont encore des membres du Pasok. Mais ça aussi, c’est en train de changer… Un des principaux problèmes auxquels Syriza (et la gauche en général), doit faire face aujourd’hui dans la rue, c’est la stratégie de tension créée par les néo-nazis de l’Aube dorée. Si ces derniers n’ont en fait pas progressé entre mai et juin, ils servent surtout très directement les classes dirigeantes et les forces les plus réactionnaires comme arme pour briser les mouvements. Ils ont pris ces derniers mois pour cibles privilégié-e-s de leur fréquentes attaques physique les migrant-e-s dont un grand nombre sont transféré-e-s et parqué-e-s en Grèce dans des conditions déplorables, en vertu du règlement de Dublin II. Le prochain festival antiraciste qui a lieu début juillet à Athènes sera l’occasion pour les migrant-e-s et les militant-e-s grec-que-s de réfléchir et d’organiser la solidarité et la riposte.
Pendant les deux campagnes électorales, Syriza a principalement défendu trois grandes revendications : le refus du Mémorandum, la renégociation de la dette, et la relance agricole et industrielle du pays. Aujourd’hui, la Coalition réfléchit à franchir très vite une nouvelle étape, à se transformer en faisant directement appel aux forces populaires, créant un front politique et social du peuple. C’est sur cela qu’insiste en particulier Alexis Tsipras, lors de la conférence nationale des délégué-e-s de Syriza qui se tient justement aujourd’hui et demain pas très loin du festival. Il introduit également l’idée que Syriza ne souhaite pas seulement prendre le pouvoir mais aussi pour la transformation radicale de la société.

Dimanche 1er juillet
A midi, visite du musée du « 17 aout 1944 » à Nikkaia (ou Néa Kokkinia), une ville de la banlieue d’Athènes, dans le district du Pirée. Dans les années 1920, après la défaite contre la Turquie, c’est dans cette banlieue pauvre que s’installent les réfugié-e-s grec-que-s d’Asie mineur qui vont y fonder, avec les autres émigrés des iles et du continent, le rebétiko (ρεμπέτικο), un genre musical populaire et souvent subversif. C’est également là qu’a lieu un des nombreux massacres perpétrés par les forces d’occupation allemande pendant la Seconde guerre mondiale. Cette région du Pirée, surnommée « Le petit Moscou », est le centre d’une très forte résistance qui a jusque là empêché les forces allemandes de l’occuper. Le 17 aout 1944 des bataillons de sécurité encerclent la ville, détruisent et brulent les maisons, exécutent les dizaines de résistants et militants communistes dénoncés par les collabos grecs. C’est dans la cour de l’actuel musée qu’ont eu lieu les exécutions. Là, se dresse désormais une statue du résistant communiste Aris Velouchiotis [2], et où que l’on mette le pas, on marche sur le sang des partisans, nous confie un camarade…Apparue aux dernières élections, la présence, quoique faible, de l’extrême-droite (le Laos et l’Aube dorée) y est d’autant plus difficile à avaler pour les militant-e-s. Toutefois, après avoir été pendant longtemps un des bastions du Parti communiste grec (KKE), c’est aujourd’hui une place forte de Syriza, et pour KOE l’une des premières expériences électorales (municipale) réussie.
En fin de journée, lors du dernier (et le plus gros) débat du festival, le seul organisé de la journée, sur le thème « Un pays en transition : la lutte pour une autre Grèce », les références à l’Histoire et à la lutte de libération nationale sont également très présents. Pour Sofia Sakorafa, il s’agit désormais pour Syriza de construire un front du peuple similaire au Front de libération nationale des années 1940. Toutes les interventions suivantes vont dans le même sens. Rudi Rinaldi de KOE insiste également sur le fait qu’il ne s’agit pas d’être seulement la meilleure opposition au Parlement mais de devenir une force pour la transformation de la société. Le philosophe Eftychios Bitsakis appuie l’appel au rassemblement des forces de gauche et des forces populaires, en affirmant que le programme de Syriza correspond aux taches immédiates de la période. Alexis Tsipras rappelle le processus des derniers mois qui a conduit aux succès de Syriza, en faisant notamment référence aux dynamiques qu’ont connu de nombreux pays d’Amérique du sud au cours des dernières années. Mais pour les masses, ces résultats électoraux ne répondent pas à leurs attentes. Syriza est face à une responsabilité historique pour le peuple de Grèce, pour les peuples d’Europe et ailleurs dans le monde. Il faut élargir Syriza, se battre pour l’unité dans l’action de toute la gauche et constituer un mouvement qui organise le peuple pour la prise du pouvoir et planifie « le jour d’après », la transformation de la société, une sorte de « socialisme du 21e siècle »…
La portée historique des succès de Syriza est bien de monter que désormais, « tout est possible ». Comme l’écrit Stathis Kouvelakis, pour les classes populaires « la victoire est à nouveau à l’ordre du jour. Pour elles, le XXIe siècle vient peut-être seulement, enfin, de commencer. » [3] Ce dimanche soir à Kiev, les Rouges ont gagné le match et conquis le cœur de l’Europe. A Athènes, au son du luth crétois de Psarogiorgis, le festival « Résistance 2012 » qui se termine sur une note mêlant détermination, enthousiasme et gravité en appelle à d’autres victoires, encore plus belles.


[1] Pour la petite histoire, en forme de « spéciale dédicace » aux camarades du PCOF, il a en partie appris le français en lisant le journal « La Forge » ! Mais sinon, c’est un super camarade…
[2] Άρης Βελουχιώτης, de son vrai nom Athanasios Thanasis Klaras), résistant communiste et principal chef de l’armée populaire de libération nationale (Ελληνικός Εθνικός Λαϊκός Απελευθερωτικός Στρατός, « Ellinikós Ethnikós Laikós Apeleftherotikós Stratós », en abrégé ELAS), la branche armée du Front de libération nationale (Εθνικό Απελευθερωτικό Μέτωπο, « Ethnikó Apeleftherotikó Métopo », en abrégé EAM.
[3] Stathis Kouvelakis, « Syriza, ou le « miracle grec », Contretemps en ligne, 1er juillet 2012.

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