jeudi 28 juin 2012

Chronique crétoise

Carnets de voyage en terre hellène, par Danièle Obono

Vendredi 22 juin 
Arrivée tardive à Héraklion en Crète pour le festival « Maydays 2012 » (Delayed [1])  organisé par l’Organisation communiste grecque (Κομμουνιστική Οργάνωση Ελλάδας, Kommunistiki Orgánosé Elládas, KOE), de tradition marxiste-léniniste et maoïste, qui est la deuxième plus grande composante de la Coalition de la gauche radicale Syriza (Συνασπισμός Ριζοσπαστικής Αριστεράς, Synaspismós Rhizospastikís Aristerás). Organisé depuis 5 ans, il mêle débats politiques et événements culturels qui attirent pendant deux jours une foule de jeunes militant-e-s venant de toute l’île. Les débats se tiennent en plein air dans un parc de la ville. Ils ont commencé en fin d’après-midi par une table-ronde sur la coordination des mouvements avec des interventions de représentant-e-s du comité d’audit citoyen d’Héraklion, du collectif local contre le projet (d’une société…allemande !!) d’installation éolienne et solaire qui menace la communauté, du comité contre les mines, et d’un député de Syriza. Ensuite, concert de musique traditionnelle crétoise, parce que l’art est politique et la politique est aussi affaire de joie et de convivialité. La banderole à l’entrée du parc proclame fièrement : « Με τους λαούς στο προσκήνιο, υπάρχει διέξοδος ! ». En français, ça donne quelque chose comme : « Avec le peuple sur le devant de la scène il y a une issue! ». Tout un programme…

Samedi 23 juin 
A midi, rencontre avec les salarié-e-s d’une usine de recyclage qui prend en charge le tri de tous les déchets de la ville. Les conditions sanitaires, d’hygiène et de sécurité y sont particulièrement dures. La quarantaine d’ouvrier-e-s, femmes et hommes, grec-que-s et immigré-e-s, est en grève depuis plus de deux mois contre une baisse des salaires de 22 % exigée par le Mémorandum de la Troïka en février et appliquée par le patron de l’usine dès le mois de mars. Ils sont soutenus par le syndicat et ont obtenu que la justice reconnaisse la légalité de leur grève face aux intimidations patronales. Leur résistance a empêché la direction d’appliquer la même politique de réductions salariales sur d’autres sites, et elle a même commencé à reculer sur le niveau de la baisse de salaires. En attendant complète satisfaction de l’ensemble des revendications, devant l’usine, le piquet se poursuit.
"Le peuple peut tout. Votez Syriza"
En fin d’après-midi, la première table-ronde du jour porte sur le mouvement « Occupy Wall Street », avec les témoignages de quatre militant-e-s états-unien-ne-s. Dans le second débat, après l’intervention d’un militant tunisien du PCOT, celle, via skype, d’un camarade portugais du Bloc de Gauche, et avant celle du camarade grec membre de la direction de KOE et de Syriza, l’expérience du Front de gauche suscite autant d’intérêt que d’interrogations. Pourquoi le Front de gauche a-t-il appelé à voter pour Hollande au 2nd tour de la présidentielle ? Comment fonctionne-t-il, se construit-il, se coordonne-t-il ? Autant de questions qui font écho à celles que se posent les militant-e-s de Syriza concernant leur propre formation qui discute désormais de la nécessité de passer à une étape supérieure de structuration (plus formalisée et plus ouverte) et d’intervention, au niveau local et national [2].

Lundi 25 juin
Rencontre avec les membres du comité citoyen du quartier Poros, les militant-e-s du syndicat des chômeur-euse-s et des précaires d’Héraklion et une animatrice du Réseau de solidarité sociale.
Le comité citoyen, qui rassemble des habitant-e-s du quartier, a été créé suite à l’introduction en septembre 2011 d’une nouvelle taxe à payer sur la facture d’électricité. Il est autonome de la municipalité et ne reçoit aucune subvention, tou-te-s ses animateur-trice-s sont bénévoles. Ces dernier-e-s tiennent à préciser que leur action n’est pas de la charité mais de la solidarité en direction des familles les plus pauvres (collecte de nourriture, re-fourniture d’eau et d’électricité, suivi des dossiers administratifs, de sécurité sociale, etc.), auprès desquelles elles et ils font aussi de l’information et de la mobilisation politique (non partisane) contre l’austérité. Le comité de Poros a été le premier du genre dans l’île, aujourd’hui plusieurs autres se développent dans la ville et la région, et bientôt, une première coordination devrait se mettre en place.
Le syndicat des chômeur-euse-s et précaires, dont certains membres participent aussi au comité citoyen, était à l’origine un groupe (informel) qui faisait des interventions dans les entreprises pour informer les salarié-e-s de leurs droits. Afin de donner plus de poids à leurs actions, les militant-e-s se sont structuré-e-s en syndicat, le premier du genre dans le pays. Elles et ils militent pour une hausse de l’allocation chômage, la gratuité des transports pour les chomeur-euse-s, l’accès à la culture, etc., avec comme axe principal la lutte contre les politiques d’austérité.
Le réseau de solidarité social s’est formé lors du mouvement des places de 2011 à l’initiative d’étudiant-e-s en médecine et regroupe des membres des professions psycho et socio-médicales. En lien avec les services sociaux, ils reçoivent des patients pauvres et sans sécurité sociale tout en participant, là encore, aux mobilisations sociales plus globales contre l’austérité responsable de l’état sanitaire et psychologique de plus en plus dramatique de la population.

Mardi 26 juin
Direction Viannos, petit village de quelques milliers d’âmes, qui a été en 1943, pendant la Seconde guerre mondiale, le cœur d’un massacre perpétré par les forces d’occupation allemande en représailles d’actions de la très active Résistance crétoise. On parle en Grèce de « l’Holocauste de Viannos ». Plusieurs centaines de personnes ont été fusillées, le village et d’autres alentour ont été pillés et brulés, les récoltes détruites. Autrement dit, l’antifascisme est profondément enraciné dans la région. Alors, quand l’Aube dorée (Χρυσή Αυγή, Chrysi Avgi), le parti néo-nazi qui a obtenu 7 % des voix et 18 député-e-s lors des élections de juin, a annoncé vouloir y organiser son meeting régional, la mobilisation des habitant-e-s a été immédiate. Après avoir fait diffuser par la municipalité un communiqué indiquant que les néo-nazis n’étaient pas les bienvenus à Viannos, les habitant-e-s ont organisé pendant plusieurs jours un barrage pour empêcher les militant-e-s de l’Aube dorée d’entrer dans le village. Le convoi des néo-nazis, qui s’étaient fait escorter par la police, a du rebrousser chemin. En Crète de manière générale, et dans cette région en particulier, l’Aube dorée a ainsi fait ses plus mauvais scores…et Syriza parmi ses meilleurs. Front contre front, no pasaran, ou comme on dit ici « Oλοι μαζι να φάμε τους ναζι » (« Tous ensemble, on va n’en faire qu’une bouchée ») !
Depuis le mémorial de l’Holocauste qui surplombe la vallée, l’horizon disparait entre le bleu du ciel et de la mer, le temps suspend son cours. L’Histoire qui semble étrangement se répéter. Des montagnes d’Héraklion où jadis se mena la féroce Bataille de Crète à l’Acropole d’Athènes où nous voguons maintenant, la résistance contre une nouvelle occupation a pris forme et se renforce, jour après jour…


[1] Le festival a habituellement lieu au mois de mai, mais cette année, il a été décalé (« delayed ») pour cause de campagne électorale.
[2] Syriza regroupe actuellement 12 formations politiques dont la plus importante est Synaspismos. Un système de carte d’adhésion permet de rejoindre la coalition sans être membre d’une de ses composantes, et de militer dans les comités de base qui existent un peu partout dans le pays. La direction (le secrétariat exécutif) est composée d’une vingtaine de personnes, représentant-e-s des forces politiques et personnalités non organisées. Depuis 2011, il existe aussi une coordination nationale dont les délégué-e-s, environ 200 personnes, sont parfois élu-e-s parfois désigné-e-s par les comités en tenant compte des équilibres locaux entre composantes et entre organisé-e-s et non-organisé-e-s. 

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