Vendredi 22 juin
Arrivée tardive à Héraklion en
Crète pour le festival « Maydays
2012 » (Delayed [1])
organisé par l’Organisation communiste grecque
(Κομμουνιστική Οργάνωση Ελλάδας, Kommunistiki Orgánosé Elládas, KOE), de
tradition marxiste-léniniste et maoïste, qui est la deuxième plus grande
composante de la Coalition de la gauche
radicale Syriza (Συνασπισμός Ριζοσπαστικής Αριστεράς, Synaspismós
Rhizospastikís Aristerás). Organisé depuis 5 ans, il mêle débats
politiques et événements culturels qui attirent pendant deux jours une foule de
jeunes militant-e-s venant de toute l’île. Les débats se tiennent en plein air dans
un parc de la ville. Ils ont commencé en fin d’après-midi par une table-ronde sur
la coordination des mouvements avec des interventions de représentant-e-s du
comité d’audit citoyen d’Héraklion, du collectif local contre le projet (d’une
société…allemande !!) d’installation éolienne et solaire qui menace la
communauté, du comité contre les mines, et d’un député de Syriza. Ensuite,
concert de musique traditionnelle crétoise, parce que l’art est politique et la
politique est aussi affaire de joie et de convivialité. La banderole à l’entrée
du parc proclame fièrement : « Με τους λαούς στο προσκήνιο,
υπάρχει διέξοδος ! ». En français, ça donne quelque chose comme :
« Avec le peuple sur le devant de la scène il y a une issue! ».
Tout un programme…
Samedi 23 juin
A midi, rencontre avec les salarié-e-s
d’une usine de recyclage qui prend en charge le tri de tous les déchets de la
ville. Les conditions sanitaires, d’hygiène et de sécurité y sont particulièrement
dures. La quarantaine d’ouvrier-e-s, femmes et hommes, grec-que-s et immigré-e-s, est en grève depuis plus de
deux mois contre une baisse des salaires de 22 % exigée par le Mémorandum de la Troïka en février et
appliquée par le patron de l’usine dès le mois de mars. Ils sont soutenus par le syndicat et ont
obtenu que la justice reconnaisse la légalité de leur grève face aux intimidations
patronales. Leur résistance a empêché la direction d’appliquer la même
politique de réductions salariales sur d’autres sites, et elle a même commencé
à reculer sur le niveau de la baisse de salaires. En attendant complète satisfaction
de l’ensemble des revendications, devant l’usine, le piquet se poursuit.
"Le peuple peut tout. Votez Syriza" |
Lundi 25 juin
Rencontre avec les membres du
comité citoyen du quartier Poros, les militant-e-s du syndicat des chômeur-euse-s et des
précaires d’Héraklion et une animatrice du Réseau de solidarité sociale.
Le comité citoyen, qui rassemble
des habitant-e-s du quartier, a été créé suite à l’introduction en septembre
2011 d’une nouvelle taxe à payer sur la facture d’électricité. Il
est autonome de la municipalité et ne reçoit aucune subvention, tou-te-s ses
animateur-trice-s sont bénévoles. Ces dernier-e-s tiennent à préciser que
leur action n’est pas de la charité mais de la solidarité en direction des
familles les plus pauvres (collecte de nourriture, re-fourniture d’eau et
d’électricité, suivi des dossiers administratifs, de sécurité sociale, etc.),
auprès desquelles elles et ils font aussi de l’information et de la mobilisation
politique (non partisane) contre l’austérité. Le comité de Poros a été le
premier du genre dans l’île, aujourd’hui plusieurs autres se développent dans
la ville et la région, et bientôt, une première coordination devrait se mettre
en place.
Le syndicat des chômeur-euse-s et
précaires, dont certains membres participent aussi au comité citoyen, était à
l’origine un groupe (informel) qui faisait des interventions dans les
entreprises pour informer les salarié-e-s de leurs droits. Afin de donner plus
de poids à leurs actions, les militant-e-s se sont structuré-e-s en syndicat, le
premier du genre dans le pays. Elles et ils militent pour une hausse de l’allocation
chômage, la gratuité des transports pour les chomeur-euse-s, l’accès à la
culture, etc., avec comme axe principal la lutte contre les politiques
d’austérité.
Le réseau de solidarité social
s’est formé lors du mouvement des places de 2011 à l’initiative d’étudiant-e-s
en médecine et regroupe des membres des professions psycho et socio-médicales.
En lien avec les services sociaux, ils reçoivent des patients pauvres et sans
sécurité sociale tout en participant, là encore, aux mobilisations sociales
plus globales contre l’austérité responsable de l’état sanitaire et
psychologique de plus en plus dramatique de la population.
Mardi 26 juin
Direction Viannos, petit village
de quelques milliers d’âmes, qui a été en 1943, pendant la Seconde guerre
mondiale, le cœur d’un massacre perpétré par les forces d’occupation allemande
en représailles d’actions de la très active Résistance crétoise. On parle en
Grèce de « l’Holocauste
de Viannos ». Plusieurs centaines de personnes ont été fusillées, le
village et d’autres alentour ont été pillés et brulés, les récoltes détruites.
Autrement dit, l’antifascisme est profondément enraciné dans la région. Alors,
quand l’Aube dorée (Χρυσή Αυγή, Chrysi
Avgi), le parti néo-nazi
qui a obtenu 7 % des voix et 18 député-e-s lors des élections de juin, a
annoncé vouloir y organiser son meeting régional, la mobilisation des
habitant-e-s a été immédiate. Après avoir fait diffuser par la municipalité un
communiqué indiquant que les néo-nazis n’étaient pas les bienvenus à Viannos,
les habitant-e-s ont organisé pendant plusieurs jours un barrage pour empêcher
les militant-e-s de l’Aube dorée d’entrer dans le village. Le convoi des néo-nazis,
qui s’étaient fait escorter par la police, a du rebrousser chemin. En Crète de
manière générale, et dans cette région en particulier, l’Aube dorée a
ainsi fait ses plus mauvais scores…et Syriza parmi ses meilleurs. Front contre
front, no pasaran, ou comme on dit ici « Oλοι μαζι να φάμε τους ναζι » (« Tous ensemble, on va n’en faire qu’une bouchée ») !
Depuis le mémorial de l’Holocauste qui surplombe la vallée, l’horizon disparait entre le bleu du ciel
et de la mer, le temps suspend son cours. L’Histoire qui semble étrangement se
répéter. Des montagnes d’Héraklion où jadis se mena la féroce Bataille de Crète à l’Acropole
d’Athènes où nous voguons maintenant, la résistance contre une nouvelle
occupation a pris forme et se renforce, jour après jour…
[1] Le festival a
habituellement lieu au mois de mai, mais cette année, il a été décalé
(« delayed ») pour cause de campagne électorale.
[2] Syriza regroupe
actuellement 12 formations politiques dont la plus importante est Synaspismos.
Un système de carte d’adhésion permet de rejoindre la coalition sans être
membre d’une de ses composantes, et de militer dans les comités de base qui
existent un peu partout dans le pays. La direction (le secrétariat exécutif)
est composée d’une vingtaine de personnes, représentant-e-s des forces
politiques et personnalités non organisées. Depuis 2011, il existe aussi une
coordination nationale dont les délégué-e-s, environ 200 personnes, sont
parfois élu-e-s parfois désigné-e-s par les comités en tenant compte des équilibres
locaux entre composantes et entre organisé-e-s et non-organisé-e-s.
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