Une
nouvelle génération entre en mouvement pour la démocratie et contre les
politiques libérales. Militant sénégalais collaborateur du bulletin « Afriques en lutte », Moulzo nous
apporte son analyse. (1)
Le 27 janvier 2012, le conseil constitutionnel du Sénégal, composé de cinq membres, valide la candidature d’Abdoulaye Wade pour une troisième candidature aux élections présidentielles. Les opposant-e-s au régime de M. Wade l’accusent de ne pas respecter la constitution de 2001 qui limite le nombre de mandats à deux alors que M. Wade considère que son premier mandat de 2000, obtenu avant la nouvelle constitution ne fait pas partie du décompte de mandats autorisés. Depuis plusieurs mois, un débat de constitutionnalistes fait rage à Dakar, tandis que des avocats français étaient appelés à la rescousse par le Président Wade, qui comptait se représenter coûte que coûte aux prochaines élections présidentielles. Pari réussi donc. Cependant, de violentes manifestations ont tout de suite suivi à Dakar la déclaration du Conseil constitutionnel entraînant la mort d’un jeune policier. La France ainsi que d’autres pays occidentaux comme les Etats-Unis sont très inquiets de la situation sénégalaise. Paris, à travers la voix de Bernard Valero, porte-parole du Quai d’Orsay appelle les leaders sénégalais « au sens des responsabilités, à la retenue et à éviter toute forme de violence ». Le mois de février 2012 sera donc crucial pour le Sénégal, pays de quelques 14 millions d’habitant-e-s et qui, fait assez rare en Afrique post coloniale, n’a jamais connu de coup d’Etat militaire.
Après 40 ans de pouvoir socialiste et deux présidents issus du Parti socialiste sénégalais (Léopold Sédar Senghor et Abdou Diouf), le mouvement « Sopi » (« changement » en ouolof) qui porta au pouvoir M. Abdoulaye Wade (3e Président de la République du Sénégal) en 2000 était soutenu en grande partie par la jeunesse sénégalaise. Cette jeunesse, qualifiée de « malsaine » par l’ex-président M. Abdou Diouf en avait certainement assez de subir la toute puissance du Parti Socialiste sénégalais fondé en décembre 1976 par Léopold Sédar Senghor père de l’Indépendance du Sénégal (d’abord Union Progressiste Sénégalais de 1958 à 1976 ; fusion du Bloc Populaire Sénégalais de Senghor et le Parti Socialiste d’Action Sénégalaise de lamine Guèye). Son successeur Abdou Diouf (président le 1er janvier 1981 à la suite de la démission de Senghor), qui avait pourtant ouvert le pays au multipartisme intégral n’en était pas moins très loin des réalités du pays. Enfermé dans sa tour présidentielle, il n’écoutait plus que ses conseillers politiques pour qui tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes. La surprise fut donc totale en mars 2000 lorsqu’il se retrouva au second tour des élections présidentielles face à Abdoulaye Wade le libéral, soutenu par une coalition hétéroclite de partis politiques pour la plupart se réclamant de la Gauche. Mais cela n’a été possible que grâce à la mobilisation historique de la jeunesse sénégalaise à travers le mouvement « Sopi » (slogan du Parti Démocratique Sénégalais-PDS, le parti d’Abdoulaye Wade).
Douze
ans plus tard, Gorgui, « le vieux »
(comme l’appelle affectueusement les Sénégalais-e-s) est devenu à son tour,
après deux mandats présidentiels, l’homme à abattre pour cette même jeunesse.
Les élections de 2007 qui ont reconduit Abdoulaye Wade (85 ans aujourd’hui) au
pouvoir sont contestées par l’opposition sénégalaise (composée en partie de ses
anciens alliés de 2000). En boycottant les élections législatives qui ont suivi
les élections présidentielles de 2007 (pour contestation du fichier électoral),
l’opposition sénégalaise a ouvert un boulevard à Abdoulaye Wade qui obtint la
majorité des sièges de la place Soweto (Assemblée nationale sénégalaise) et en profita
pour changer la constitution selon ses désirs.
Il
serait intéressant de connaître les raisons de cet entêtement du Président Wade
(85 ans aujourd’hui) à maintenir cette candidature contestée qui risque d’entraînerson
pays dans le chaos politique. Pourquoi cet homme qui a su conduire le Sénégal à
l’alternance politique en 2000 (avec le soutien de plusieurs partis de gauche
ou s’en réclamant) est devenu à son tour un acharné du pouvoir ? Qu’est ce qui
empêche M. Wade de sortir par la grande porte de l’histoire politique du
Sénégal en confiant la responsabilité de son parti libéral à ses véritables
héritiers politiques (dont son fils d’ailleurs) et de les laisser briguer le
fauteuil présidentiel ? La question est simplement légitime et la réponse très simple
: Wade veut certainement remporter les élections de 2012 puis partir en
laissant le pouvoir à son fils comme l’en accusent d’ailleurs tous ses
opposants dont deux de ses ex-premiers ministres, devenu parias du PDS et qui
ont quitté le bateau libéral pour rejoindre l’opposition pour l’un (Macky Sall
et son parti Alliance Pour la République - APR) ou pour créer un parti se
réclamant toujours du PDS pour l’autre (Idrissa Seck et son Rewmi – « le
peuple »), tandis que le troisième homme Cheikh Tidiane Gadio, l’ex-ministre
des affaires étrangères de Wade (de 2000 à 2009) rejoignait aussi l’opposition.
Toutes
ces défections sont, semble-t-il, liées au super pouvoir que le Président a accordé
à son fils Karim Wade, qui avec son mouvement « La Génération du Concret » se
taille la part du lion, se positionnant en héritier de son père biologique.
Karim Wade est l’actuel ministre d’Etat, ministre de la Coopération
internationale, des Transports aériens, des Infrastructures et de l’Energie. La
tentative de dévolution monarchique est d’ailleurs au coeur de la contestation
du 23 juin 2011 portée par l’opposition, la société civile mais aussi par le groupe
de rap sénégalais Keur Gui (« La maison » en ouolof) de Kaolack (une
ville du sud-est du Sénégal) et par d’autres rappeurs sénégalais.
Fadel Barro et des membres du groupe « Y’en a marre », le 23 septembre 2011 à Dakar. AFP/Seyllo |
Le mouvement
« Y’en a marre » du groupe de Rap Keur Gui, lancé le 19 mars 2011 (date
anniversaire de l’alternance au Sénégal en 2000) voulait s’approprier cette
date historique portée en partie par la jeunesse sénégalaise et ne pas laisser
le parti d’Abdoulaye Wade la revendiquer à son seul compte. Le combat de front
que mena ce mouvement le 23 juin 2011 lors de la tentative du président Wade de
changer la constitution pour se garantir le pouvoir (en imposant le quart
bloquant aux élections présidentielles de 2012) est le fer de lance de la force
de « Y’en a marre » dont certains membres ont été interpellés violemment par la
police tandis que le mouvement M23 qui est né à la suite de cette journée de
mobilisation peut effectivement conduire à une nouvelle alternance en 2012.
La
coalition M23 qui regroupe la société civile et des mouvements citoyens (comme
le mouvement « Y’en a marre ») pourrait faire de l’ombre à l’opposition traditionnelle
sénégalaise. Car six mois après sa création, il faut bien se rendre à l’évidence :
le M23 pose un problème réel de conscience aux Partis d’opposition réunis
autour de la coalition Bennoo Sigil Sénégal (qui n’est d’ailleurs pas arrivée à
présenter une candidature unitaire en décembre (2)). De plus la nervosité que
le M23 confère au Parti
Démocratique
Sénégalais (PDS), le parti de Wade, est la preuve ultime du poids de ce
mouvement né des contestations sociales de juin 2011 et qui ne compte pas hypothéquer
sa dynamique. « Ma carte, mon arme » est d’ailleurs un des slogans de la
campagne Daas Fananal (se préparer en conséquence) lancée par le mouvement « Y’en
a marre ».
Le
recul du Président Abdoulaye Wade (qui a fini par renoncer à son projet de
changement constitutionnel et au ticket Président-Vice Président) a montré que
la mobilisation populaire reste la plus grande arme contre le pouvoir
politique. D’ailleurs le PDS en a conscience et a tenté de contrer le M23 en
organisant une grande action de ses partisans le 23 juillet. L’opposition
sénégalaise, regroupée autour de Benno Siggil Sénégal - BSS (« Ensemble pour relever le Sénégal ») tente à
son tour de s’approprier la contestation populaire mais débordée de toute part
par des mouvements citoyens (Imams, rappeurs), n’arrivant pas à trouver une
candidature unitaire, elle ne représente pas vraiment l’alternative qu’attendent
les jeunes sénégalais. Beaucoup d’hommes politiques sénégalais sont en réalité
en fin de parcours politique. Ces hommes, dont la plupart n’ont de carrière que
la politique sont bien loin des difficultés du peuple.
L’alternance,
la vraie, doit être politique. Une nouvelle génération d’hommes et de femmes
politiques doit se manifester afin de poser sur table les vrais problèmes de la
jeunesse sénégalaise qui représente plus de la moitié de la population. Et les
rappeurs du mouvement « Y’en a marre » ainsi que beaucoup d’autres jeunes issus
de ces mouvements populaires ont leurs mots à dire. Doivent-ils sauter le pas
et créer des mouvements citoyens et/ou politiques ? Pourquoi pas si c’est l’unique
moyen de ne pas perdre du crédit et d’éviter de se faire rouler encore une fois
dans la farine par les politiciens de tout bord…
Pendant
ce temps, la situation sociale est toujours la même pour les populations (les
seules véritables victimes du régime libéral de Wade) qui tentent de s’en
sortir comme elles peuvent grâce à la débrouillardise. La crise économique
européenne fait craindre une nouvelle dévaluation du Franc CFA (celle de 1994 a été un véritable traumatisme)
tandis que les Western Union des migrant-e-s pour soutenir leur famille restée
au pays se font de plus en plus rares à cause de la situation économique
dramatique de l’Espagne et de l’Italie (qui regroupent une bonne partie de l’immigration
économique sénégalaise). De plus, les délestages d’électricité ne sont toujours
pas complètement réglés malgré les promesses de Karim Wade, nommé ministre de l’énergie
en mai 2009 par son père après ses déboires aux élections municipales et
rurales de mars 2009 (il est battu dans son propre bureau de vote à Dakar).
La
tentative de dévolution monarchique de M. Wade semble donc bien réelle, elle
est même dénoncée par son ex-premier ministre Idrissa Seck, aujourd’hui
candidat contre son ancien père spirituel libéral.
Le
conseil constitutionnel a donc tranché. Wade sera candidat. Les partis d’opposition
doivent à présent se mobiliser pour le battre dans les urnes et l’aider à
prendre sa retraite car il en a bien l’âge. D’autant plus que Wade a déjà
commencé sa campagne depuis plusieurs mois en utilisant les médias d’Etat à sa
disposition. Mais avec deux candidats déclarés (le PS n’a pas accepté le vote
de désignation du candidat qui ne lui a pas été favorable), l’opposition
sénégalaise semble donner du crédit aux Sénégalais-e-s qui jugent les hommes
politiques peu crédibles et sans parole. Malheureusement, ce sont bien les
héritiers de M. Wade, notamment Idrissa Seck et Macky Sall (ses ex-Premier
Ministres devenus opposants) qui vont profiter de ces divisions. L’opposition sénégalaise
de gauche, après avoir porté un libéral au pouvoir pour faire partir le Parti
Socialiste va-t-elle de nouveau servir de tremplin aux héritiers légitimes de
ce régime cette fois ci pour faire partir M. Wade ?
Les
partis politiques de la gauche radicale sénégalaise (RTA/S ; Yonnu Askan Wi,
UDF-Mbolo MI, Ferñent / Mouvement des Travailleurs Panafricains – Sénégal)
doivent continuer à approfondir cette troisième voie (ni PS, ni PDS) qui a été
une généreuse idée vite oubliée au nom de la sacro-sainte alliance contre M.
Wade.
Moulzo
1)
Ce texte est un mixte de deux articles (« Du sopi de 2000 au Y’en amarre de 2011
» et « Sénégal : situation politique et sociale » parus dans les bulletins d’Afriques
en lutte n°13 et n°15. www.afriquesenlutte.org/
2)
La désignation de Moustapha NIASSE de l’AFP (Alliance des Forces de Progrès) n’a
pas été acceptée par le Parti Socialiste Sénégalais
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire