jeudi 10 février 2011

« Où va le NPA ? »


Clémentine Autain, Cerises, n° 95, 4 février 2011.


Loin des promesses initiales d’une force large d’un nouveau type, le premier Congrès du Nouveau parti anticapitaliste (NPA), qui se tiendra du 11 au 13 février, s’annonce… tendu.

Le texte de présentation de la position de la majorité sortante commence par cette phrase : « Ceux qui cherchent à enterrer le NPA en seront pour leur frais ». Une posture défensive qui signe les difficultés internes et externes rencontrées par la jeune organisation. Créé à partir de feu la LCR à la faveur du succès du jeune facteur Olivier Besancenot, le NPA semblait à ses débuts avoir éclipsé le reste de la gauche radicale. Il promettait d’agréger les « héros du quotidien », de mêler les différentes cultures de la gauche critique et de faire du neuf par la refonte d’un « éco-socialisme du XXIe siècle ».
En 2008-2009, c’était l’enthousiasme, à grand renfort de médias. En ce début 2011, c’est déjà l’heure des comptes. Le NPA a-t-il raté son pari ? Quels choix d’orientation se jouent à ce Congrès, pour le NPA et pour l’avenir de l’autre gauche ? [...]

Des partis pris de fondation n’ayant pas fait leur preuve
L’idée qu’il est nécessaire de dépasser les clivages anciens, hérités du XXe siècle, a présidé à la constitution d’un nouveau parti anticapitaliste. Juste diagnostic. En effet, pour ne prendre qu’un exemple, trotskysme versus stalinisme : l’opposition a vécu, elle ne fait pas sens pour les nouvelles générations. L’apport de l’écologie politique ou du féminisme doit également être « digéré » par la tradition du mouvement ouvrier. De ce point de vue, le NPA a donc vu juste : il faut faire du neuf. Cette simple assertion a suscité un large intérêt, à un moment où les autres organisations, et singulièrement le PCF, paraissaient sans proposition et empêtrées dans de vieilles lunes.
Si la critique est facile et l’art difficile, le bilan (provisoire) de cette construction politique initiée par la LCR doit permettre de dégager quelques enseignements à usage de toute l’autre gauche.
Le NPA se fixait pour objectif de refonder le courant révolutionnaire. Mais il l’a fait à partir d’une seule matrice : la LCR. Dès lors, le ver n’était-il pas dans le fruit ? Au cours du processus de constitution du NPA, au moment même où l’organisation prétendait s’ouvrir et muter, il fut frappant de constater une posture de fermeture à l’égard des différents acteurs et courants de la gauche critique. Les rencontres initiées par la LCR auprès de ses partenaires potentiels sont restées quasi introuvables (les dirigeants du parti arguaient alors ne pas avoir de partenaires). La volonté de la LCR de s’adresser aux « héros du quotidien » au détriment des forces constituées de la gauche de gauche est un choix qui ne fut pas sans conséquences. Concevoir uniquement « par le haut » la force nouvelle est évidemment une impasse. Mais la recherche active d’un spectre suffisamment large de sensibilités, de cultures et de traditions de la gauche d’alternative aurait pu permettre de constituer un levier pour un engagement populaire durable, pour produire un projet et une stratégie rénovés.
Car, à l’arrivée, le NPA fut l’alliance d’un courant structuré issu de la LCR, avec ses références, ses codes, ses réflexes, et de militants issus d’horizons divers, parfois (souvent ?) sans expérience politique, venus avec des attentes et des aspirations différentes, construites au gré de ce que chacun avait pu comprendre du projet initial, qui s’était donné à voir de façon large et donc ambiguë auprès du grand public. Le groupe le plus structuré et le plus rompu à la vie d’un appareil a pris la main. Aurait-il pu en être autrement ? Rien n’est moins sûr...
Des syndicalistes, des précaires, des jeunes des quartiers populaires ont trouvé place au NPA. Ne minimisons pas l’attraction, notamment chez les jeunes, que la nouvelle organisation a su cristalliser.
Mais l’alchimie souhaitée avec des secteurs du mouvement social et des nouveaux venus en politique s’est vite trouvée enkystée, l’alliance recherchée n’a pas produit les effets escomptés. Avec le collectif de jeunes précaires L’Appel et la pioche, autour de Leila Chaibi, le dialogue a vite tourné au vinaigre. L’inclusion d’une figure altermondialiste et écologique comme Raoul-Marc Jennar n’a pas tenu deux ans. Les quartiers populaires, cibles privilégiées, n’ont pas pris d’assaut le NPA. Bref ! La direction peut se féliciter d’avoir doublé les effectifs et les scores électoraux au regard de ce que fut la LCR. Fait notable, elle a en outre capté un public assez jeune. Mais les 10 000 adhérents affichés à la naissance du parti ne se sont pas multipliés comme des petits pains. L’étiage s’est même rétréci : il doit se situer aujourd’hui davantage autour de 5 000 militants. Ce n’est pas rien. Mais le pari de la création d’un outil politique de masse de l’anticapitalisme des temps nouveaux n’est pas réussi. Ni celui d’aspirer les autres composantes à la gauche du PS.
Au fond, c’est l’une des analyses stratégiques de départ qui semble avoir été démentie. Les initiateurs du NPA ont pensé que tout le reste de la gauche radicale était moribond ou qu’en tout cas, ce qu’il en restait serait rapidement mis sous hégémonie du NPA. « Entre le PS et nous, il n’y a plus rien » ou « le PS et nous constituons les deux pans cohérents de la gauche » sont des assertions maintes fois entendues au démarrage du NPA. Le « Die Linke » à la française espéré, c’était l’idée que la refonte d’une force à la gauche du PS se ferait autour de la proposition de la LCR. L’état de décomposition de l’autre gauche au lendemain du cuisant échec de 2007 laissait sans doute place à une telle hypothèse.
Depuis, l’histoire a montré que le fossé entre les deux n’en était pas un.
La sortie de Jean-Luc Mélenchon du PS ou la création du Front de Gauche ont contribué à ranimer cet espace, jusqu’à prendre la main sur le NPA, en le devançant aux élections européennes puis aux régionales. Etre « comme un poisson dans l’eau dans les luttes » ne suffit visiblement pas à agréger politiquement. Le rapport au pouvoir et la stratégie, très conformes à ceux de la LCR, n’ont sans doute pas permis de produire un véritable saut quantitatif et qualitatif. Force est de constater le décalage entre l’accueil d’Olivier Besancenot dans les mobilisations ou sa cote de popularité élevée, d’une part, et le résultat pour le NPA en termes de structuration politique, d’autre part. L’ancrage dans les mobilisations et le relai de mots d’ordre radicaux de type « grève générale » ne produit pas de dynamique significative à même d’ouvrir une perspective politique et de changer la donne. Le paradoxe reste entier : alors que le capitalisme fait sa crise, le « nouveau parti anticapitaliste » n’a pas encaissé les dividendes. Il n’a pas imposé ses thèmes dans le débat public ni déclenché une bronca dans les urnes.
Enfin, et cette explication n’est pas des moindres, la LCR avait choisi de créer un « nouveau parti ». Or, le cadre proposé s’est révélé ressembler davantage à un copié/collé des partis classiques.
La question de la forme d’organisation a été posée au démarrage du NPA mais il semble qu’elle soit passée à la trappe. Dès lors, l’agrégation de nouveaux publics a pu s’en trouver empêchée. A ce jour, à part les efforts à la création d’Europe Ecologie, l’enjeu reste dans toute la gauche à l’état de questionnement. Les nouvelles formes de coopération entre le social et le politique comme d’inclusion, par des pratiques plus en phase avec les attentes du monde contemporain, de catégories aujourd’hui non mobilisées dans le champ proprement politique restent à inventer, au NPA comme ailleurs. Un défi pas si facile à relever... mais incontournable.
Les relatifs revers électoraux du NPA, aux européennes puis aux régionales, n’ont pas semblé affecter la stratégie de développement du parti. La recherche d’unité avec les organisations du Front de gauche ou la Fase s’est manifestée en amont des régionales mais elle a vite tourné court. En dehors des échéances électorales, le lien n’a pas été franchement recherché. Par exemple, le journal du NPA, Tout est à nous, ne s’est pas ouvert aux courants de l’autre gauche ; les deux Universités d’été n’ont pas été particulièrement l’occasion de débats pluralistes ou de renforcement des liens ; dans la foulée du mouvement sur les retraites, l’initiative nationale organisée à Montreuil pour aborder la question de sa traduction politique fut construite par et pour les militants du NPA. Dans les discours, l’enjeu unitaire n’a pas disparu pour autant. Mais de quelle unité s’agit-il ?

Premier Congrès : vers l’ouverture ou le repli du NPA ?
Trois grandes positions vont polariser les débats : celle issue des rangs de la majorité sortante (Position 1) ; celle défendue par les plus proches de LO, une position plus « gauchiste » et identitaire (Position 2) ; celle des courants unitaires, prônant notamment la reprise du dialogue avec le Front de gauche et la Fase (Position 3). Regardons ici le texte proposé par la « P1 », qui devrait arriver en tête - sans pour autant obtenir la majorité des voix (le score aujourd’hui estimé est de l’ordre de 40-45%).
Le texte part de la grande mobilisation sociale de cet automne. Celle-ci aurait conforté les partis pris de fondation du NPA qui se serait révélé utile aux luttes. Le combat pour les mois et années à venir est posé en ces termes : « Surmonter les doutes et les difficultés, affirmer et construire notre parti, définir nos tâches afin d’en faire un instrument efficace pour les luttes sociales et politiques, écologique d’aujourd’hui, dans la perspective de la lutte pour le pouvoir démocratique des travailleurs, l’éco-socialisme ou le socialisme du XXIe siècle ». La tonalité générale n’est pas à l’autocritique. L’analyse des raisons de la panne du NPA reste introuvable – ceci dit, Olivier Besancenot dit explicitement dans un court entretien pour Regards de février qu’il ne ressent « pas de panne ».
L’idée qu’il n’y a pas de partenaires potentiels est maintenue, voire renforcée. La distinction avec les autres courants de la gauche d’alternative apparaît très marquée comparativement à des textes antérieurs, plus ronds, plus enrobant sur les objectifs unitaires. La position de la majorité sortante fige les différences et incompatibilités. Elles apparaissent uniquement d’ordre stratégique.
Notons avec plaisir que les divergences de fond ne sont pas au cœur de la mésentente avec le reste de la gauche radicale. L’unité promue est celle des anticapitalistes, par opposition aux antilibéraux. Car, « l’apparition du Front de gauche (...) signifie la cristallisation dans le paysage politique d’une gauche réformiste antilibérale qui n’a pas coupé les ponts avec le social-libéralisme et qui entend dans le même temps disputer aux anticapitalistes l’espace de la radicalité ». Il s’agit alors pour le NPA « d’exister comme parti des luttes et des mobilisations pour défendre des mesures d’urgence et tracer la  perspective d’un gouvernement issu d’une démocratie directe pour et par les travailleurs et leur garantissant le droit de contrôler la marche de la société. Sans l’autoactivité des masses ne peuvent exister ni de résistances victorieuses, ni de nouveaux combats émancipateurs, ni de perspectives de rupture ». Comment passe-t-on des luttes et des revendications d’urgence à la société nouvelle faite de démocratie directe ? Là se situe sans doute l’un des angles morts de la stratégie défendue par la « P1 ». La question de la temporalité de la transformation n’est pas abordée. Surtout, la stratégie est souvent traitée par la négative – les ruptures ne peuvent se mener dans le cadre d’une alliance avec le PS et des institutions actuelles (cela ne dit pas grand chose de comment elles peuvent se mener). Ces failles dans la réflexion stratégique trouvent évidemment des racines profondes : après les échecs du XXe siècle, il n’est pas si simple de penser la transformation, la révolution.
Mais la recherche d’unité de tous ceux qui contestent la logique capitaliste peut être un préalable, une sorte de pré-requis si l’on veut peser d’une façon ou d’une autre. En outre, la stratégie ne saurait être figée, elle peut se penser pour une part en marchant car elle ne peut être définie ex nihilo du contexte social et politique.
En l’occurrence, le procès d’intention à l’égard du Front de gauche est sévère, comme s’il y avait urgence à empêcher tout rapprochement : « Sauvegarder ou conquérir des positions institutionnelles solides (dans les grandes villes, les départements, les régions, voire dans un futur gouvernement) suppose pour le Front de gauche une dépendance par rapport au PS et l’adieu de facto aux prétentions à la transformation sociale. Prétendre que l’on peut s’allier avec le PS et lui imposer une politique antilibérale demeure soit une illusion soit une entourloupe. Le lancement d’un processus en vue d’aboutir à un « programme partagé », qui s’inscrit dans cette logique, ne permet pas une alliance électorale nationale avec le NPA. Loin de partir d’un constat d’incompatibilité entre le programme du PS et celui d’une gauche digne de ce nom, les dirigeants du Front de gauche sèment l’illusion qu’il pourrait y avoir un « bon » programme commun gouvernemental de toute la gauche. Cette stratégie n’est pas la nôtre et nous défendons notre point de vue, basé sur l’indépendance stricte vis à vis du PS, auprès des militant-e-s et sympathisant-e-s du Front de gauche pour les convaincre de l’impasse dans lesquels cette ligne les amène ». On comprendra que les conditions de l’indépendance vis-à-vis du PS ne sauraient être sujettes à débat.
En paraphrasant leur texte, on a envie de répondre : prétendre que l’on peut transformer la vie du plus grand nombre à partir du seul NPA demeure soit une illusion, soit une entourloupe. Si les options stratégiques finales d’un grand rassemblement de toute la gauche de transformation ne sauraient être en tous points préétablis, et que des divergences peuvent même perdurer en son sein, le choix de l’isolement n’est-il pas une impasse à coup sûr ? En outre, le NPA attend-il de ses partenaires potentiels qu’ils aient exactement la même conception stratégique que lui ? Auquel cas, inutile de revendiquer l’unité : elle sera en effet introuvable.
Car le principe même d’un rassemblement, c’est d’allier des collectifs militants et des individus qui regardent dans la même direction mais ne pensent pas en tous points la même chose.
C’est fort justement que le texte de la « P3 » attire d’emblée l’attention sur l’urgence. Son titre : « Le temps nous est compté ». Car « il faut donner une puissance politique unitaire à la contestation ». D’où la proposition : « À l’occasion de son congrès de 2011, le NPA peut  décider d’être véritablement comme « un poisson dans l’eau », au sein des mouvements sociaux comme sur le terrain politique, autour d’une stratégie de front social et politique avec toutes les forces de la gauche de transformation sociale et démocratique (Front de gauche, Fase, non-organiséEs, etc.) (...) Nous n’avons plus le droit à l’erreur ».
Si le NPA choisissait le repli et de faire cavalier seul en 2012, c’est la gauche de transformation sociale dans son ensemble qui risque d’en payer le prix fort.
Car l’unité de tout l’arc des forces est un gage de cohérence, de prise de responsabilité face aux crises et de dynamique politique. Il reste quelques mois pour convaincre.