jeudi 10 février 2011

« Le NPA doit faire de la politique »

Cédric Durand et Razmig Keuchyan, Libération, 7 février 2011.



L’hypothèse qui a présidé à la création du NPA il y a deux ans était simple. Et fausse. Entre l’anticapitalisme que le nouveau parti se proposait d’incarner et le social-libéralisme désormais hégémonique au Parti socialiste, il n’y a plus rien. Le réformisme pratiqué autrefois par la « vieille » social-démocratie européenne a été balayé par la mondialisation néolibérale, l’affrontement n’est plus dès lors qu’entre deux gauches : l’une d’opposition frontale au capitalisme, l’autre une variante teintée de « social » du néolibéralisme. Entre les deux, le vide absolu. [...]
Deux ans plus tard, l’erreur est éclatante. Si éclatante que la direction du NPA a les plus grandes peines à la reconnaître, et à réajuster sa stratégie en conséquence. L’espace qui sépare l’anticapitalisme du social-libéralisme est aujourd’hui le plus encombré du spectre politique. Les organisations et sensibilités y prolifèrent : Parti de gauche de Jean-Luc Mélenchon, Parti communiste, FASE, gauche des Verts, même la gauche du PS a repris des couleurs, ne serait-ce qu’au plan du discours (mais en politique, les discours comptent). Des associations comme Attac ou la fondation Copernic, chevilles ouvrières avec les équipes syndicales du puissant mouvement de l’automne contre la réforme des retraites, se situent elles aussi à cet endroit du champ politique. Si cette mobilisation a suscité la radicalisation de secteurs significatifs de la population, l’anticapitalisme n’y était certainement pas hégémonique.
Ce qui manque au NPA depuis deux ans, c’est d’abord une bonne dose de modestie. S’imaginer qu’un seul courant de la gauche radicale, si clairvoyants soient ses représentants, allait à lui seul réinventer le « socialisme du 21e siècle », après le désastre qu’a représenté celui du 20e, manque de sérieux. Partout où la gauche radicale se recompose, en Europe et ailleurs, elle le fait autour de plusieurs courants de l’ancien mouvement ouvrier. Bien entendu, cela accroît considérablement la complexité de ces processus, et soulève des problèmes politiques innombrables. S’imaginer qu’on fera l’économie de cette complexité est toutefois une erreur majeure. Le NPA, aujourd’hui, en fait les frais, puisqu’il a perdu une partie importante des 10’000 membres qu’il avait su rassembler lors de son congrès de fondation.
Ce que n’a pas su accomplir le NPA jusqu’ici, c’est faire de la politique au plein sens du terme. Antonio Gramsci disait du parti des opprimés qu’il doit assumer trois fonctions : organiser, éduquer, expérimenter. Le NPA ne dispose pas de la taille critique qui lui permettrait de réaliser les deux premières, et il s’est jusqu’ici refusé à se livrer à la troisième. Expérimenter devrait lui permettre d’entrer en rapport avec des personnes et des organisations qui se situent précisément dans l’espace qui le sépare du social-libéralisme, afin de les attirer sur ses positions. A leur contact, il subira forcément lui aussi des mutations, dont il faudra veiller à ce qu’elles ne le conduisent pas à gérer le système plutôt qu’à le transformer. Cohérent dans son engagement contre toutes les oppressions, riche de la jeunesse et de l’implantation sociale de ses militants, le NPA a tout à gagner à une confrontation politique constructive vis-à-vis des autres courants de la gauche radicale. L’alternative à cette stratégie d’ouverture, nous l’avons sous les yeux : c’est le splendide isolement d’un parti qui perd en influence jour après jour, et dont l’utilité pour la construction d’un autre monde diminue d’autant.

Cédric Durand est économiste à l’université de Paris 13. Dernier ouvrage paru : Le capitalisme est-il indépassable ? (Textuel, 2010).
Razmig Keucheyan est sociologue à l’université de Paris 4. Dernier ouvrage paru : Hémisphère gauche. Une cartographie des nouvelles pensées critiques (Zones/La Découverte, 2010).
Tout deux sont membres du NPA.