8 février 2011
Chères et Chers camarades,
Notre congrès de novembre suivait le grand mouvement social sur les retraites ; le vôtre survient au moment des révolutions tunisienne et égyptienne. En moins de trois mois, deux événements majeurs se sont déroulés des deux côtés de la Méditerranée. Tous deux ont pour origine, ou tout au moins élément déclencheur, la crise du système capitaliste. Sous des formes évidemment différentes, c’est bien le partage des richesses et la volonté des peuples de reprendre leur destin en main qui est au cœur de ces deux mobilisations populaires. Elles confirment aussi que nous sommes entrés dans une période de bouleversements à la hauteur de l’’intensité de la crise et des attaques des oligarchies vis-à-vis du monde du travail.
Dans cette période, tout devient possible. Quand nous nous référions aux révolutions citoyennes en Amérique Latine, on nous disait « c’est loin, c’est un autre monde ». Aujourd’hui ces révolutions se rapprochent. Elles ont lieu de l’autre côté de la Méditerranée mais le slogan en français « Qu’il dégage ! » brandi par les manifestants tunisiens puis égyptiens démontre, mieux que de longs discours, que leur nature n’est pas différente. Ici comme là-bas, sous des formes évidemment propres à chacun de nos pays, se propage dans le peuple une volonté de rompre avec un système de plus en plus injuste et de renverser les oligarchies. [...]
L’ampleur et la radicalité du mouvement social contre les retraites confirme également qu’une majorité grandissante de nos concitoyennes et nos concitoyens ne croient pas aux fadaises libérales. Nous l’affirmons depuis la création de notre parti, et la crise capitaliste le rend plus crédible encore : il y a place pour l’affirmation forte d’une gauche de rupture en capacité d’allier radicalité concrète et volonté de gouverner ce pays sur son programme de transformation sociale et écologique. Nous n’attendons pas du Parti Socialiste, toujours plus engagé dans une logique d’accompagnement du système, qu’il conduise à un tel débouché politique. Il compte sur une simple mécanique d’alternance basé sur le rejet de Sarkozy pour gagner les prochaines élections en maniant le bâton du « vote utile ». Les trois échecs successifs aux élections présidentielles des candidats socialistes rappellent combien cette stratégie se révèle à la fois porteuse de reniement mais est surtout incapable de battre la droite.
C’est aux forces de l’autre gauche qu’il revient de remplir ce rôle. Elles le peuvent à condition de démontrer leur crédibilité et en définitive leur utilité. Cela commence par leur unité. Elles le doivent car, ne nous y trompons pas, si la situation favorise les ruptures, son débouché politique n’est pas forcément à gauche. Alors que les études d’opinion s’accordent sur la montée d’une critique voire du rejet du capitalisme dans la population, elles montrent également qu’en son sein une part grandissante ne se reconnait plus dans le clivage gauche/droite. La faute à une « gauche » qui a désorienté les classes populaires depuis trop longtemps. Le Front National a compris le bénéfice à en tirer : il endosse désormais plus franchement un discours social, reprenant même une part de notre vocabulaire. Nous savons vous et nous le danger que cela représente : pour la démocratie mais aussi parce que le FN entend détourner la révolte sociale pour protéger en réalité l’ordre capitaliste. Ne nous y trompons pas : c’est de notre côté qu’est le meilleur rempart à la montée possible de l’extrême droite. La situation d’autres pays européens, dont l’Italie, démontre que l’absence d’une gauche d’alternative ouvre un boulevard aux forces les plus rétrogrades.
C’est dire le rôle qui nous incombe. C’était déjà vrai lors des élections européennes et régionales où nous avons regretté de ne pouvoir conclure un accord national entre les forces du Front de Gauche et votre mouvement. Les excellents résultats de la liste « Limousin Terre de Gauche » ont rendu évident ce que, unis, nous aurions pu espérer sur le plan national. C’est donc encore plus vrai aujourd’hui : alors que le capitalisme s’enfonce de plus en plus dans la crise, nous avons une responsabilité historique. Il nous revient d’être à la hauteur des circonstances, à la hauteur des attentes du peuple.
C’est pourquoi nous nous adressons de nouveau solennellement à vous à l’entrée de votre congrès. Il n’y a aucune divergence de taille à nous empêcher de proposer, ensemble, une véritable alternative de gauche lors des rendez-vous électoraux à venir. Bien sûr les mobilisations sociales sont essentielles. Sans elles, nous savons qu’un gouvernement de gauche ne sera pas en capacité d’imposer une véritable politique de transformation sociale et écologique. Mais à l’inverse, l’issue du mouvement social sur les retraites démontre qu’aucune transformation majeure dans ce pays ne se fera sans un débouché politique capable de rassembler une majorité de nos concitoyennes et concitoyens au suffrage universel.
Plus que jamais, nous sommes convaincus qu’unis nous pouvons changer plus efficacement et plus vite la donne. A leur manière, les sondages le reflètent. Ils attribuent déjà largement plus de 12% aux candidats de l’autre gauche. Soyons sûrs qu’une candidature commune s’imposerait vite et bien plus fortement dans l’opinion. Ce serait aussi une formidable motivation pour les luttes sociales, écologiques et citoyennes, certaines enfin de disposer d’un puissant relai politique.
Aujourd’hui le Front de Gauche n’est certes pas parfait mais il constitue une première étape de rassemblement inédite depuis 2008. C’est crucial. Son élargissement est évidemment nécessaire : avec d’autres forces de l’autre gauche et l’alliance du NPA, il serait toujours plus à même de rassembler plus largement que les partis qui le composent toutes celles et tous ceux qui entendent rompre pour de bon avec ce système.
Il serait encore plus une force capable de redonner l’espoir, de redonner confiance à celles et ceux qui aujourd’hui se réfugient dans l’abstention et d’entraîner ainsi toutes celles et ceux qui déplorent la division de l’autre gauche ou hésitent sur leur choix à gauche. C’est essentiel tant nous savons bien que rien ne sera possible sans une véritable implication populaire.
Nous pouvons lever les obstacles. En prenant le temps de les examiner concrètement, vous réaliserez comme nous qu’ils sont plus apparents que réels.
Récemment Olivier Besancenot, en réponse à la proposition de candidature de Jean-Luc. Mélenchon, a dit qu’il fallait d’abord répondre à la question « pour quoi faire ? ».
Nous répondons simplement : nous sommes candidats au pouvoir pour appliquer dans notre pays un programme de radicalité concrète en rupture avec le système capitaliste et les logiques productivistes. Il nous semble que nous pouvons nous entendre sur cette évidence, non ?
Elaborer ce programme de gouvernement représente-t-il un obstacle ?
Là encore, il est évident que non. Prenons les cinq axes que le Parti de Gauche soumet à la discussion. Nous voyons beaucoup de similitudes :
- nous avons entendu Olivier Besancenot récemment sur une télévision en appeler à une assemblée constituante comme nous le faisons pour refonder une 6ème République parlementaire et sociale ;
- nos arguments sont strictement identiques sur le partage des richesses ;
- nous estimons indispensable de sortir du traité de Lisbonne pour construire une autre Europe ;
- nous exigeons la sortie de l’Otan et de nos troupes d’Afghanistan ;
Peut-être convient-il de vérifier que nous sommes en accord sur la planification écologique mais nous doutons que les deux termes associés vous posent problème ou que vous n’êtes pas comme nous attachés à sortir du modèle productiviste par une écologie sociale et radicale.
Et nous savons bien, pour nous retrouver dans les mêmes luttes, signer souvent les mêmes textes, qu’en entrant davantage dans les détails, nous trouverions suffisamment de mesures à appliquer d’urgence au gouvernement comme celle de donner immédiatement des papiers à toutes celles et tous ceux qui vivent dans une clandestinité forcée dans notre pays.
D’ailleurs nous remarquons qu’en 2007 les collectifs unitaires antilibéraux qui rassemblaient déjà la plupart des courants qui ont créé depuis le NPA et le PG, ont été capables de s’entendre sur 125 propositions pour finalement présenter trois candidats différents à la présidentielle. Comme quoi le programme n’est ni un obstacle, ni un sésame automatique pour parvenir à des candidatures communes.
Manifestement ce qui fait encore question ce n’est ni « pourquoi » ni « quoi », mais « comment ». Autrement dit la stratégie.
Donc nous vous proposons d’avancer tout aussi concrètement sur cette question.
La création quasi parallèle des deux nouveaux partis que sont le NPA et le PG prouve que nous partageons déjà l’un comme l’autre la nécessité d’un nouveau parti de gauche, anticapitaliste et écologiste dans ce pays. Nous pensons pour notre part que cela ne se fera pas autour du PG mais qu’il devra rassembler toutes les diversités de l’autre gauche et intégrer absolument la prise en compte des enjeux écologiques, sociaux et démocratiques. Nous revendiquons juste d’essayer d’en être un vecteur efficace, raison pour laquelle nous continuerons sans relâche à nous adresser à vous en ce sens.
Nous constatons qu’aujourd’hui les conditions ne sont pas encore réunies pour rassembler toute l’autre gauche dans une seule et même force politique, ce que nous souhaitons. Cela n’empêche pas d’avancer à travers la stratégie du Front. C’est un pas important, qui a fait ses preuves, qui peut faire bien mieux encore mais qui réclame pour cela que chacun accepte la diversité de l’autre.
Tous les partis qui composent actuellement le Front de Gauche partagent une même conviction : qu’on ne compte pas sur nous pour appliquer une politique qui consisterait à faire payer la crise aux salariés et non au capital. Ensuite, nous savons que nous pouvons ne pas toujours avoir la même appréciation sur les possibilités de participer aux exécutifs dès lors que nous ne sommes pas majoritaires au premier tour. Cela a été le cas aux régionales puisque le PG a décidé que les conditions n’étaient pas réunies pour intégrer les exécutifs régionaux. Est-ce que cette différence nous empêche de nous présenter ensemble au premier tour des élections indépendamment du PS et d’Europe Ecologie ? Là encore nous disons non et vous proposons pour cela de reprendre les solutions qui ont fonctionné : les accords signés pour les régionales dans le Limousin précisaient qu’après le premier tour, chaque parti serait, sur cette question, libre de son choix. Cela a permis l’accord de « Limousin terre de Gauche » entre le Front de Gauche, les Alternatifs et le NPA. Cela autorise le même type d’alliance dans près de 20 départements pour les cantonales. Remarquons d’ailleurs que cette question apparemment cruciale lors de la négociation des accords de LTG est devenu secondaire quand, en raison de la dynamique de la campagne, du succès de la liste et de l’attitude du PS régional, toutes ses composantes ont décidé d’un même élan de ne pas participer aux exécutifs.
Si nous nous accordions sur cette solution, resterait alors à nous accorder sur le principe de candidatures communes aux présidentielles et législatives. Disons-le franchement, les premières réactions de vos responsables à l’annonce de la proposition de candidature de Jean-Luc Mélenchon nous ont paru inhabituellement et exagérément agressives et négatives.
Depuis, Olivier Besancenot a paru laisser la porte un peu plus ouverte à l’idée d’une candidature de rassemblement. Nous espérons que vous confirmerez vraiment cette volonté pour que nous puissions ouvrir les discussions. Mais soyons clairs entre nous : cette ouverture doit être une vraie ouverture et non un prétexte pour préparer un nouveau refus après celui des Européennes et des Régionales. Elle ne peut donc être assortie de l’exclusion par principe d’une candidature ou d’un type de candidature qui de facto reviendrait à éviter toute candidature de rassemblement sans le dire.
Voilà chères et chers camarades les questions que nous voulions vous poser en conclusion de notre adresse.
Nous disposons d’un calendrier et de propositions avec nos actuels partenaires du Front de Gauche, le PCF et Gauche Unitaire :
- En mai, lors d’une grande réunion, nous aurons adopté les principales mesures de notre programme de gouvernement.
- Nous sommes en faveur de l’élargissement du Front de Gauche aux forces de l’Autre Gauche (FASE, Alternative, nos autres partenaires des listes « Ensemble » aux Régionales…) et surtout son ouverture à toutes et tous à travers des assemblées citoyennes.
- Au printemps, nous nous serons certainement tombés d’accord sur les candidatures communes aux présidentielles et aux législatives.
- Nous serons alors prêts pour mener campagne avec la ferme volonté de battre la droite et Nicolas Sarkozy et de mettre en échec le Front National. Et ce sera aux autres forces de gauche, PS et Europe Ecologie, de devoir se positionner sur notre programme que nous aspirons à rendre majoritaire dans le pays.
- Cette démarche peut être également la vôtre. Elle est un formidable espoir pour notre peuple. Nous espérons vous avoir donné ici les possibilités concrètes et l’envie pour la construire avec nous.
Dans l’attente de vos réponses, nous vous souhaitons un excellent congrès.