Jean-Claude Mamet, Convergences et Alternative
Le gouvernement a décidé qu’il fallait encore et encore s’attaquer aux retraites. D’ailleurs la Commission européenne lui a soufflé très fort sa ligne de conduite, au cas où il l’aurait oubliée. Car telle est la situation depuis que la France hollandaise a voté le TSCG au mot près !
Les réponses fournies par la commission Moreau, mise en place pour préparer l’opinion publique, sont absolument incroyables. On nous dit que la contre-réforme Sarkozy de 2010 s’appuyait sur de mauvais calculs de croissance : « la durée et l’ampleur de la crise depuis 2008 affectent fortement les systèmes de retraite… ». On s’attendrait logiquement à des préconisations rompant avec de mauvaises prémisses. Pas du tout : la commission Moreau estime qu’il faut toujours « s’inscrire dans la trajectoire des finances publiques retenues par les pouvoirs publics et concourir au redressement des comptes publics et à la crédibilité internationale de la France ». Donc on a fait des erreurs, mais il faut continuer. Les politiques publiques de gestion de la crise ont tué l’emploi, cassé les salaires. Forcément, les régimes de retraites en pâtissent ! Mais il faut s’acharner. Et l’Europe veille au grain. Les règles adoptées par les gouvernements-notamment la surveillance budgétaire à priori (avant les parlements nationaux) et la règle d’or du TSCG- les institutions européennes leur demande maintenant de les appliquer. Le 29 mai, la Commission européenne, qui accorde à la France un délai de deux ans pour revenir dans les clous du déficit public, dresse une liste de 6 réformes structurelles à mener, dont celle des retraites, en détaillant même les mesures à prendre. Hollande s’est ému d’un tel diktat. Mais il s’aligne, alors qu’il faut désobéir ! Assumer l’affrontement avec les institutions européennes.
Hollande en a fait un « principe », édicté lors de sa conférence de presse. Un principe qui se rapproche bizarrement du « travailler plus » de Sarkozy. Et qui légitime après coup toutes les réformes régressives de la droite : 1993, 2003, 2010, toutes guidées par le « principe » Hollande. En 1982, quand le gouvernement Mauroy a instauré le droit à la retraite à taux plein passant de 65 à 60 ans, l’espérance de vie augmentait déjà. Mais la gauche de cette époque (avant le tournant libéral de 1983-84) ne concluait pas que lorsqu’il y a des progrès de santé aux âges avancés, il faut les compenser en souffrant plus longtemps au travail. L’aspiration populaire, reprise à gauche, était qu’on devait profiter d’une retraite en bonne santé et qu’on devait réduire la durée du travail sur la semaine et sur la vie. D’autant que la productivité du travail compense l’augmentation plus forte du nombre des retraités (dits faussement « inactifs ») que celui des actifs, et donc la part de richesses supplémentaires qu’il convient de leur attribuer. On pourrait tenir le même raisonnement avec le baby-boum d’après-guerre : l’augmentation des naissances (des inactifs donc) a capté une part supplémentaire de la richesse nationale (allocations, écoles), sans que personne alors ne crie à une faillite prochaine. Seulement dans ces années-là, la société (ou le rapport des forces sociales) admettait que les gains de productivité profitent aussi au bien public commun, ce qui n’est plus du tout le cas aujourd’hui, où les gains de productivité vont essentiellement aux dividendes. On a donc le droit de vivre plus longtemps, selon le « principe « Hollande, mais plus pauvrement, en entrant plus tard à la retraite, en subissant une décote et en risquant une dégradation de sa santé.
Même pas. La commission Moreau chiffre les besoins de financement d’ici 2020 à 1 point du PIB, soit 20 milliards, dont 7 milliards pour le régime général (privé). Or, comme l’explique Jean-Marie Harribey (« les économistes atterrés »), les 5 points de moins de détérioration des salaires depuis 30 ans, au profit des dividendes accrus, c’est 100 milliards par an. 5 fois le « trou » des retraites prévu en 2020 ! Autrement dit : il suffirait de déplacer un peu le partage salaires-dividendes pour boucher le trou. Pourtant, le gouvernement bloque les salaires fonction publique sur trois ans, pour mieux inciter à bloquer aussi ceux du privé, et le SMIC reste au point mort. 20 milliards ont par contre été très vite trouvés (sur le fameux « coût du travail ») pour satisfaire la compétitivité, suite au rapport Gallois.
La commission Moreau préconise la désindexation des pensions actuelles, la fin des avantages fiscaux (les 10% de frais professionnels), la hausse de la CSG retraités, l’augmentation des annuités jusqu’à 44 ans en 2050 (travailler plus longtemps pour économiser des pensions). Timidement, côtés recettes, elle propose 0,1% de cotisations en plus par an, à partager entre patrons et salariés. Au total, qui paye quoi sur les 7 milliards nécessaires au régime général ? Les entreprises 1,3 milliards, les travailleurs actifs et retraités payent le reste, soit les 4/5. Comme le dit Jean-Marie Harribey : plus la crise est responsable, plus on fait payer les travailleurs. On peut aussi appeler cela la lutte acharnée d’une classe contre l’autre.
Oui bien sûr ! La Conférence sociale du 20 juin a conclu qu’il fallait, pour la réforme à venir, « prendre en compte certaines situations particulières (pénibilité, jeunes, femmes, poly-pensionnés)… ». Il se peut que les pouvoirs publics se livrent à une opération de « donnant-donnant » : une petite amélioration pour les uns pour mieux écraser les autres. En 2003, la contre-réforme Fillon s’était accompagnée d’une promesse : faire face aux pénibilités du travail et aux inégalités sociales d’espérance de retraite en bonne santé. Rien n’a abouti. Et la question demeure : l’inégalité d’espérance de vie en bonne santé est de 8 ans entre ouvriers et cadres, et bien plus selon la pénibilité du travail et des professions. Il faut donc changer radicalement les conditions de travail. Mais immédiatement, l’égalité doit passer par des départs anticipés proportionnels aux années de pénibilité. Quant aux femmes, elles touchent une retraite d’au moins 40 % inférieure aux hommes, alors que leur salaire est inférieur de 25%. Pour elles, c’est la double peine. Christiane Marty (fondation Copernic) a montré que si l’activité des femmes égalait celle des hommes, cela se traduirait par 5% de rentrée de cotisations supplémentaires, alors que le COR estime que 2% de hausse de cotisation équilibrerait les régimes en 2020. Un rattrapage salarial obligatoire aurait sans doute les mêmes effets. L’égalité femmes-hommes sur les salaires : un vrai levier pour équilibrer les régimes. Voilà ce que la Conférence sociale aurait dû proclamer et mettre en application par des sanctions, car toutes les lois ont déjà été votées.
La propagande dominante fait comme si la retraite était le fruit d’un long placement en durée de cotisations ou en épargne, et que les temps étant difficiles, il faut s’attendre à moins de revenus du placement effectué tout au long de sa vie. Cette mentalité d’épargnant, que l’on veut nous inculquer de force, est un recul de civilisation. La retraite est en réalité la possibilité de continuer à vivre en bonne santé, et de se livrer à des activités utiles pour soi ou pour la société sans être contraint par la discipline capitaliste du travail. Cette conquête sociale a été rendue possible par l’augmentation, jusque dans les années 1990, de la part des richesses allant au bien-être ou à la protection sociale. C’est parce que la part des cotisations globales de salaires affectés aux retraites est passée de 8% du salaire brut en 1945 à 26% en 1995 (Bernard Friot, L’enjeu du salaire, 2012), que la retraite a pu devenir un bonheur accessible pour des millions de personnes, alors qu’au 19ème siècle, les travailleurs mourraient au travail. Toute la gauche, tout le syndicalisme, doivent s’unir pour ne pas démanteler encore plus cette conquête populaire.
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