mardi 8 novembre 2011

Nucléaire, la parole au peuple ...

A l’heure où les lobbies pro-nucléaire (re)passent discrètement à l’offensive et plutôt que de s’embourber dans des tractations électoralistes au sommet des appareils, les forces politiques de gauche devraient plutôt répondre positivement à la proposition que leur a faite, le 26 octobre dernier, Jean-Luc Mélenchon, candidat du Front de gauche à la présidentielle de 2012, de mener campagne ensemble pour une référendum sur le sujet. A l’appui de cette démarche, nous reproduisons ci-dessous une analyse de Yann Cochin, syndicaliste dans le secteur de l’énergie, membre du conseil national de campagne du Front de gauche et de Convergences et alternative, parue en juillet dernier dans le bulletin public de notre courant.



Yann Cochin, Convergences et alternative, n° 8, 10 juillet 2011, p. 8-9.

L’Allemagne, la Suisse, l’Italie décident de programmer une sortie du nucléaire, 70 % des Français-e-s y sont favorables selon un sondage, le débat public est urgent. Et avec les salarié-e-s des centrales, premier-e-s exposé-e-s.
Fukushima ce n’est  pas fini, les installations ne sont toujours pas maîtrisées (les autorités espèrent en retrouver le contrôle fin janvier, ce qui laisse sceptique les spécialistes) et les informations sur le niveau de radioactivité de l’environnement sont toujours plus inquiétantes ASN du 16 juin), il en est de même sur les doses reçues par les salariés. Explosions et haute contamination de la mer restent hélas totalement du domaine du possible.
Cet accident majeur pose d’une manière nouvelle la question de l’utilisation du nucléaire civil à des fins de production d’électricité : dans ce débat il y aura un avant et un après Fukushima. Et cela parce qu’il sera désormais très difficile de faire accepter aux populations de pays nucléarisés le message classique : « Ce n’est pas possible chez nous … ».

Contrairement à Tchernobyl, il n’est pas possible d’impliquer, comme l’ont fait plus ou moins nos dirigeant-e-s politiques et de l’industrie nucléaire à l’époque, la déliquescence de la situation économique et industrielle du pays victime de la catastrophe : le Japon est l’archétype du pays développé, à industrie « high-tech ». Et rappelons que l’accident de Three Mile Island avait déjà montré que même les industries les plus développées ne sont pas à l’abri d’un accident nucléaire majeur. Et « chez nous », la gestion actuelle de nos centrales est loin d’être optimale : les syndicats les plus courageux d’EDF ne cessent de dénoncer les risques provoqués par une gestion guidée par des objectifs de rentabilité, par une politique de sous-traitance absurde qui fragilise la culture de la sûreté par manque d’expérience et de qualification des intervenants, sans parler des conditions inacceptables dans lesquelles ces salariés travaillent, encaissant la majorité des doses pour des salaires de l’ordre de 1700 Euros/mois.

Rentabilité contre sécurité
La dégradation des conditions de sûreté est aussi liée à la casse systématique de tout collectif de travail, au manque de plus en plus fort de transparence au nom du secret-défense, à une situation de sous-effectif chronique conduisant à des dépassements horaires dangereux, à une mauvaise gestion du renouvellement des compétences, à une « gestion par indicateurs » totalement inadaptée …
Au-delà de la sous-traitance lors des arrêts de tranches, les décisions en cours de prolonger la durée de vie des centrales, les conflits entre EDF et l’Andra sur les coûts associés au traitement de l’aval du cycle (techniques d’enfouissement des déchets), montrent à quel point la pression financière, l’obsession productiviste et de rentabilité à court terme, pèsent sur la gestion de la filière.
Passons sur l’abjecte propagande visant à exploiter cette catastrophe pour faire des affaires en opposant notre technologie nucléaire « sûre » aux technologies « low-cost ». Les centrales nucléaires japonaises ne sont pas « lowcost », et l’accident de Fukushima démontre précisément qu’aucune technologie, même la plus évoluée, n’est à l’abri d’une défaillance aux conséquences catastrophiques.
Reste l’argument probabiliste : la « malchance » du cumul de deux événements naturels exceptionnels, le tremblement de terre et le tsunami, aura conduit au pire. Au regard de la catastrophe, cet argument est faible, pour plusieurs raisons. Comme le démontrent tous les accidents majeurs, il paraît impossible d’envisager et d’estimer correctement la probabilité de toutes les situations pouvant conduire à la catastrophe. Surtout, même à supposer que ce soit le cas, il reste cette question incontournable : « Acceptons-nous de vivre sous la menace de telles catastrophes, dès lors que la probabilité des évènements qui y conduisent est suffisamment fiable et faible ? »
Sur ce point, on ne peut qu’être interpellés par la réflexion d’Ulrich Beck, sociologue, spécialiste de la question des risques, dans le Monde du 26 mars « Quelle signification peut donc encore avoir une sécurité fondée sur la probabilité […] quand il s’agit d’estimer l’accident le plus grave rationnellement prévisible, quand sa survenue laissera bien sûr la théorie intacte, mais aura annihilé toute vie ? »
Nos dirigeants promettent aujourd’hui de tester la sûreté de toutes nos centrales. Etrange décision quand on nous assurait il y a encore quelques semaines qu’elles étaient parfaitement sûres … Cela ressemble à un ridicule pare-feu dressé pour tenter de rassurer l’opinion face à ce dont le monde risque d’être maintenant convaincu : « Oui, une telle catastrophe peut se produire chez nous ».

Référendum
La raréfaction des ressources, l’effet de serre, les risques associés aux différentes filières posent aujourd’hui de manière pressante la question de la définition du mix énergétique futur. Les critères prépondérants dans ce choix doivent être le caractère renouvelable, la minimisation du risque d’accident et d’empreinte environnementale. Ce ne peuvent être ni des critères financiers, ni des critères de nombres d’emplois : nous nous refusons à défendre une filière au seul motif que des salariés y travaillent.
En revanche, il est bien évident qu’il est indispensable de proposer les meilleures reconversions au personnel impacté par une sortie éventuelle du nucléaire, qu’il soit ou non d’EDF. Le choix du mix énergétique doit être le résultat d’un véritable processus démocratique. Et ce processus doit évidemment inclure la sortie du nucléaire comme une possibilité réelle, et aboutir à un référendum.
La société civile doit pouvoir décider en connaissance de cause. Pour cela elle doit être informée clairement des risques, des coûts associés à chaque hypothèse, des implications sur le mode vie de tel ou tel choix. Il ne s’agit pas uniquement de décider comment produire, mais aussi comment consommer (quels usages de l’électricité ? Quelle politique de sobriété et d’efficacité énergétique …)
Il est clair qu’il est impossible de laisser cette information dans les mains des lobbies quelle que soit leur obédience.
A cette étape, aucun choix irrémédiable ne doit être engagé avant ce débat public, et nous affirmons que des choix sont nécessaires.
- Un moratoire sur la construction de nouvelles centrales nucléaires et de l’EPR
- La non-prolongation de la durée de fonctionnement des centrales nucléaires
- Un service public de l’énergie qui ne soit pas soumis à la concurrence et à la loi de la rentabilité
- Une recherche dotée de moyens à la hauteur des enjeux sur la sûreté nucléaire et sur les nouvelles énergies
- La ré-internalisation de toutes les opérations liées à la maintenance/sûreté nucléaire, avec recrutement au statut des salariés concernés.
- Une enquête sur l’évolution de leurs conditions de travail et leurs conséquences en termes de sécurité et de santé.
- La garantie du droit à l’expression des salariés du nucléaire, acteurs essentiels de la sécurité des installations.
- La priorité est à la démocratie, à un investissement massif dans les énergies renouvelables pour qu’elles dominent le nucléaire et les énergies fossiles.

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